Strasbourg, jadis ville-carrefour des idées, berceau du Parlement européen, capitale du dialogue, se voit aujourd’hui malmenée par une mandature qui confond gouvernance municipale et pèlerinage militant. Depuis l’arrivée de Jeanne Barseghian à l’hôtel de ville en 2020, on assiste à une reconfiguration de l’espace urbain où le plot a remplacé le piéton, où la piste cyclable est devenue sanctuaire, et où le commerce de proximité meurt à petits pas derrière une barrière en plastique recyclé.
La politique urbaine, censée être pensée pour les habitants, s’est muée en laboratoire d’écologie punitive, où circuler à quatre roues relève du parcours initiatique. Rue Mélanie en est devenu le monument : une artère traitée à coups de béton idéologique, avec une piste cyclable de luxe dont le coût dépasse le million d’euros, comme si chaque mètre valait un golden ticket pour le paradis vert. Pendant ce temps, les commerçants pleurent, les riverains râlent, et les cyclistes eux-mêmes s’interrogent : fallait-il vraiment cette orgie de mobilier urbain pour tracer un demi-tour écologique ?
Mais la gouvernance municipale ne s’arrête pas au trottoir : elle grimpe, elle s’élève, elle s’envole vers des sphères géopolitiques où elle n’a pourtant ni mandat ni compétence. Car voilà que Strasbourg, ville française, décide un jour de suspendre son jumelage avec Ramât Gan, ville israélienne jumelée depuis trente ans, pour se jeter tout sourire dans les bras du camp palestinien d’Aïda. Jumelage voté dans une ambiance de séance mystique, photographié façon carte postale militante : keffieh sur les épaules, carte sans Israël à la main, d’une maire au sourire radieux. Ce n’est plus de la diplomatie, c’est de la provocation en format jpeg.
Face à cette manœuvre, certains élus ont préféré s’abstenir plutôt que de cautionner ce déséquilibre. Catherine Trautmann, figure du Parti socialiste, et Nicolas Matt, tenant de la ligne Renaissance, ont choisi le retrait, se gardant bien de valider une opération plus symbolique qu’humanitaire. On se souviendra de cette lâcheté politique dans les urnes.
Dans un contexte aussi explosif que celui du conflit israélo-palestinien, importer les tensions sans stratégie ni mesure relève de l’amateurisme, voire de l’irresponsabilité.
La mandature aura aussi été celle des grands chantiers à géométrie variable : un Opéra rénové à 120 millions pour accueillir moins de spectateurs, une librairie Kléber refaite à 4,3 millions pour rester fermée dix mois, un tram Nord recalé par une commission d’enquête qui ne partage visiblement pas la vision cosmique de la maire. Ajoutez à cela une gestion d’affaires internes inquiétante, comme celle de son ancien adjoint Hervé Polesi, accusé de violences sexistes et sexuelles, pour laquelle les alertes remontent à 2023 et les décisions à 2025, le tableau n’est pas loin de l’absurde.
En parallèle, Barseghian elle-même a été la cible de menaces misogynes ignobles, allant de l’envoi de photos obscènes aux livraisons de cadavres de souris. Elle a tenu bon, dans un silence public aussi glacial que l’ambiance de ses propres couloirs.
L’opposition se rêve unie mais agit fracturée. Vetter, Trautmann, Jakubowicz, Matt… chacun dans son couloir, sur sa trottinette. Ils dénoncent la gouvernance Barseghian avec vigueur, mais s’achoppent dès qu’il faut partager l’affiche. Les Strasbourgeois regardent ce bal des egos avec un mélange de lassitude et d’ironie : veulent-ils réellement d’un changement ou juste d’un nouveau casting pour le prochain épisode de la série municipale ?
Et pourtant, à l’approche de 2026, rien ne semble vraiment bouger. La maire reste campée sur ses certitudes, l’opposition joue au mikado stratégique, et les Strasbourgeois continuent de slalomer entre les plots, les slogans et les décisions qui tombent comme des tracts dans un vent contraire. Peut-être qu’un sursaut viendra. Peut-être que cette ville retrouvera le chemin d’un débat apaisé, d’une gestion adulte et d’une vision collective. Mais pour l’instant, Strasbourg pédale. Et ce n’est pas dans l’avenir.
Silvia Oussadon Chamszadeh (dessin : Alex Roanne)