L’hémiplégie du militant : quand l’engagement rend bête

« Seul un esprit éduqué peut comprendre une pensée différente de la sienne sans devoir l’accepter. » (Aristote)

À force de vouloir avoir raison, certains ont fini par perdre l’usage de la moitié de leur cerveau. C’est une affection moderne, sournoise, que l’on pourrait appeler l’hémiplégie intellectuelle. Elle touche principalement les militants de tous bords qui confondent engagement avec endoctrinement, soumission, ou réflexe pavlovien.

Au début, c’est bénin. On milite, on s’indigne, on partage trois tweets. Puis, insensiblement, le doute disparaît, il est remplacé par une foi de charbonnier : mon camp a toujours raison, même (et surtout) quand il a tort.

Le militant atrophié ne pense pas, ne débat pas, ne doute même pas.  Il récite, il décrète et il condamne. L’analyse devient un luxe inutile et l’idéologie devient un mode d’emploi béni pour cerveau paresseux. Tout ce que dit l’adversaire est faux, toxique, et maintenant fasciste (rayer les mentions inutiles).

La doctrine politique est indiscutable, même quand c’est manifestement grotesque. Pas étonnant que ça finisse en pugilat verbal. On ne cherche plus à comprendre l’autre, mais à le démolir avec panache. S’il est en désaccord, c’est que c’est un vendu, un aveugle ou tout simplement un abruti indigne d’être écouté.

Cette épidémie est une maladie transpartisane.  Elle gangrène la gauche, la droite, le centre (quand il existe), les progressistes, les conservateurs, les vegans , les wokistes, les réacs, les climato-angélique les néo-fossile convaincus, les colériques et les amateurs de trottinettes urbaines, c’est une hémiplégie égalitaire, tout le monde a sa dose de certitudes.

Cette hémiplégie prospère surtout là où l’on croit que l’intelligence devrait foisonner : dans les cercles militants, les universités, les médias, les politiques… l’entre-soi devient une couveuse idéale pour le conformisme moral. On y ronronne entre convaincus, on s’aime, on se like, on se rassure et on se réassure, et surtout, on évite soigneusement toute pensée qui gratte le lobe frontal anéanti.

Or penser, c’est douter, confronter, déstabiliser, risquer l’inconfort. C’est admettre que l’adversaire puisse parfois dire quelque chose de vrai.

Une démocratie vivante exige des conflits féconds, pas des catéchismes récités sur les réseaux sociaux, sinon, très vite, la politique n’est plus qu’un ring où chacun boxe dans le vide pour faire plaisir ou pour faire croire à sa galerie qu’il reste dans le vrai…

Il est difficile de désinfecter les neurones des cons. Ils piétinent, ils insultent, ils balbutient, ils ne trouvent pas leur place dans une idée différente de la ligne officielle, ou de leur propre ligne. Ils prennent la fuite et préfèrent adopter la politique de la chaise vide, mieux encore la posture de l’autruche. Penser au-delà du cortex, c’est viser la transcendance ; eux, préfèrent penser en dessous, avec leurs hypothalamus, leurs amygdales et leurs systèmes limbiques, c’est plus adapté à des buffles de cortège ou à des Ayatollahs de bazar.

Alors, on fait quoi ? On pense, ou on bêle en cadence ? On choisit la liberté, ou le confort de la meute ? Comme disait Hannah Arendt : « Penser, c’est vivre avec le soupçon que l’on pourrait avoir tort. »

Et si on essayait, juste pour voir ? Mais les cons ça n’essaye pas.  

Alex Rohanne (dessin de Alaex Rohanne)

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