Chapitre XLXII

Dans le gouffre des émotions

Cette rue étonnante était un univers foisonnant d’enfants et d’adolescents qui jouaient dans leurs rues, librement et en toute sécurité. Ils parlaient, ils riaient, ils pleuraient, ils chantaient, ils faisaient des concours de hula– hop, 1000 tours 1001 tours… 1002 tours…  Ils expérimentaient leurs premiers émois amoureux, ils découvraient le monde et leur propre existence, libres, craintifs, indifférents aux frontières invisibles que les adultes avaient tracées.   

Nous avons grandi sous un soleil doré et un ciel haut, infini, qui donnait le vertige. Chaque jour brillait heureux comme un éclat de rire, chaque nuit les étoiles et le plancton étaient au rendez-vous du bonheur d’être un enfant, puis un adolescent. Notre enfance s’est forgée dans cette atmosphère. Ils nous avaient enveloppés de leurs expériences de leurs propres bonheurs, de leurs contes féeriques et de leurs rêves lumineux. Ils avaient tissé autour de nous les promesses d’un monde où l’amour portait les traits d’un prince charmant comme l’était Berthold qui berçait les oreilles de Rose des paroles de Jacqueline François.

 Tu m’as donné un amour merveilleux
Tu m’as donné ce qu’il y avait de mieux
Mon cœur et moi nous te disons tous deux
Merci, trois fois merci
Depuis le jour où je t’ai rencontrée
Ma vie est belle comme un conte de fée
Tous mes désirs sont à jamais comblés …

Ils avaient inventé un monde où la vie s’étendait comme une éternité de jours sans ombre, où chaque pas était une aventure légère. Et, au fil du temps, notre innocence se déchirait avec la découverte des réalités qu’ils nous cachaient. Des réalités bien plus austères, bien plus contraignantes, bien plus ardues, loin de l’épopée romanesque qu’ils nous avaient murmurée, qui se révélait être un sentier jonché de désillusions. L’amour que l’on imaginait immortel, n’était qu’une flamme fragile, quelques instants de chaleur qui s’évanouissaient au lever du jour, laissant dans son sillage une quête sans fin pour retrouver ce qui fut. Le bonheur, promis, n’avait rien de la plénitude éternelle. Il se glissait dans des instants si brefs, si éphémères qu’il laissait un désir inassouvi. Et la vie dans son apprentissage, était un dédale d’embûches, de faux pas, de fausses rencontres, de mauvais castings où chaque expérience nous éloignait un peu plus de nous-mêmes à la recherche de notre substance insaisissable, comme un mirage dans le désert. Pourtant, dans ces désillusions, dans ces errances solitaires se forgeait une force qui nous apprenait à devenir des adultes.

Peut-être la véritable aventure résidait elle là : apprendre à danser entre ces lueurs éphémères de joie et ces gouffres de désespoir tout en poursuivant inlassablement cette part de nous que l’on croyait à jamais envolée. C’est cela qu’ils nous avaient appris.

Slil

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