Pour débuter, un retour en arrière dans le climat de l’Amérique centrale : le projet d’un canal à travers l’isthme de Panama remonte au début du XVIe siècle. Mais c’est au XIXe siècle que le projet prend forme avec Ferdinand de Lesseps qui, après avoir mené à bien le projet du canal de Suez en Egypte, se lance dans cette aventure américaine aux nombreux défis techniques et… financiers.
Face à des difficultés, la Compagnie universelle du canal transocéanique qu’il dirigeait fut dans l’incapacité de financer les travaux. Mauvaise gestion, pots-de-vin et fraudes au profit de figureséminentes de la société française bénéficiant d’arrangements illicites, provoquèrent un scandale national, voire international.
L’affaire du canal de Panama servit d’avertissement pour les entreprises impliquées dans ce type de projets, nécessitant une gouvernance solide, une planification minutieuse et une supervision rigoureuse, d’où une responsabilité sociale et éthique devenue centrale dans le domaine international.
Au début février 2025, en visite au Panama le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, chef de la diplomatie du pays, a répété au président panaméen que Donald Trump « n’appréciait » pas l’influence chinoise sur le canal de Panama. En termes du XVIIe, le terme « appréciait » signifie esto fue suficiente como eso en langage panaméen !
Descendant d’immigrés cubains, Marco Rubio est le premier secrétaire d’État latino. Il n’a pas choisi l’Amérique latine par hasard pour son premier voyage. Le diplomate a adopté « une approche moins conflictuelle » que son président. Il a participé à une messe dans une église de la vieille ville de Panama et « n’a pas hésité à prendre des photos avec les fidèles qui s’approchaient pour le saluer ».
« Little Marco » s’inspire de la doctrine Monroe (1823) et de l’impérialisme prôné par Théodore Roosevelt (1901-1909), adepte de la diplomatie du « Big Stick » : « Tenez un gros bâton et parlez doucement, et vous irez loin »
Pour Marco Rubio, il s’agit de rasseoir l’autorité des USA sur ce que les Américains appellent l’hémisphère occidental, c’est-à-dire les Amériques du Nord, du Sud et centrale ainsi que les pays insulaires des Caraïbes. C’est le retour de la politique des sphères d’influence, où l’Oncle Sam doit régner en maître dans son arrière cour latino-américaine.
Premier latino-américain de l’histoire américaine nommé à « Foggy Bottom », le Quai d’Orsay américain, Rubio semble être l’homme de la situation. Il fait son premier voyage diplomatique au Guatemala, au Salvador, au Costa-Rica, en République dominicaine et …au Panama afin de redonner vie dans leurs relations. Cette « visite » vise en fait à contrer l’influence croissante de la Chine dans la région. Le voyage survient alors que le président Donald Trump s’efforce de reprendre le contrôle du canal de Panama et que Washington intensifie ses efforts pour freiner l’immigration illégale.
Reprendre le contrôle du canal du Panama : il fut construit et contrôlé par les Américains jusqu’en 1999 et fut rétrocédé aux Panaméens cette année-là en vertu de l’accord Torrijos-Carter de 1977. Trump qualifiait ce dernier de : « very bad-deal » et « une honte ».
Marco Rubio a prévenu que la Chine pourrait potentiellement bloquer l’accès au canal en cas de conflit. Dans son interview avec SiriusXM Radio, il déclare « Si le gouvernement chinois en conflit dit de fermer le canal de Panama, le gouvernement panaméen devra le faire. En fait, je n’ai aucun doute qu’ils ont des plans d’urgence pour le faire. C’est une menace directe ».
Dans sa rivalité stratégique avec Pékin, Washington entend donc contrôler tous les flux maritimes de son environnement proche. L’expert Joseph Humire, expert de la défense et de la sécurité nationale, explique : « La Chine est présente au Panama depuis plus de 20 ans, mais la Chine est vraiment devenue politiquement active au Panama après 2017 », lorsque le Panama décida de quitter la Belt and Road Initiative et transféra sa reconnaissance diplomatique de Taïwan à la République populaire de Chine.
Cette BRI chinoise lancée en 2013 par Xi Jinping est une infrastructure globale de développement stratégique afin de développer une connexion commerciale à travers l’Asie, l’Afrique, l’Europe et l’Amérique latine.
Alors que le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains Luis Almagro a rappelé que la « validité du traité Torrijos-Carter était incontestable », l’aube de 2025 dénote qu’un réalignement idéologique à l’échelle continentale semble être en marche, car la Chine pourrait potentiellement bloquer l’accès au canal en cas de conflit.
Les critiques du 47e président américain se cristallisent sur la société qui gère deux des cinq ports placés aux extrémités du canal : la hongkongaise Hutchison Port Holdings. Hasard ou non du calendrier, l’entreprise fait l’objet d’un audit des autorités panaméennes, qui cherchent à savoir si elle rend compte correctement de ses revenus et paiements à l’État. « Je pense que les Panaméens méritent un peu plus de respect », a même déclaré Anel Flores, directeur du gendarme financier panaméen.
Le groupe, présent dans 53 ports et 24 pays, exploite depuis 1997 le port de Balboa, côté Pacifique, et celui de Cristobal sur la façade atlantique. De là à contrôler l’accès au canal ? Réaction de la Maison Blanche avec la signature d’une proclamation pour la Journée du Golfe d’Amérique alors qu’il survole l’étendue d’eau que le reste du monde appelle toujours le Golfe du Mexique.
En s’en prenant à ses alliés Mexique, Canada, Panama, Trump facilite les desseins de son principal rival stratégique, la Chine : elle aura beau jeu, désormais, de dénoncer « l’impérialisme américain » pour avancer ses pions dans le Sud global et en Europe. Avec comme seule boussole la loi du plus fort, les USA risquent de perdre leur crédit moral. Au nom de quelles « valeurs universelles » pourraient-ils s’opposer à une attaque de la Chine contre Taïwan ? Reprenant les mots de Trump concernant le Panama ou le Groenlandd, Xi Jinping rétorquerait qu’il a besoin de l’île pour sa sécurité nationale !
La sécheresse affectant la profondeur du canal, le Mexique a redémarré le chemin de fer de l’isthme pour transporter des marchandises. La Chine explore à nouveau la possibilité d’un canal au Nicaragua. Il importe de prendre conscience de l’importance stratégique de l’hémisphère occidental et de ces voies de communication maritimes essentielles.
Faut-il relativiser en acceptant cette variante d’un jeu d’ombres qui dure depuis deux décennies en Amérique centrale ? Pourrait-il s’agir d’une contrainte interne, d’une sécurité ou d’une psychologie du renseignement du Sud ? Ni Xi-Jinping ni Poutine ne bloqueront jamais le canal de Panama : cela contredirait leurs intérêts économiques.
De même, l’opérateur portuaire chinois Hutchison n’est pas le problème. Il n’y a pas grand-chose qu’ils pourraient tenter qui ne pourrait pas être rapidement défait par une compagnie de Marines. Mais l’opérateur portuaire chinois Hutchison n’est pas le problème. Le risque réel est le grand nombre de citoyens chinois vivant au Panama qui ont caché des armes et des explosifs pour le sabotage de la 5e colonne. Ils continueront à être en mesure de le faire même si les États-Unis rachètent les baux portuaires chinois.
Les États-Unis ont, en vertu du traité de 1978, le droit de défendre le canal en cas de guerre ou de menace de guerre. La solution pourrait être d’insérer rapidement une MEU, une unité interarmées avec des armes prépositionnés. Ce serait plus logique que d’intimider le Panama sans raison valable. Marco Rubio est malgré tout venu avec des exigences, car il a entendu les protestations des manifestants panaméens devant le palais présidentiel : « Le Panama se respecte », « Cette patrie n’est pas à vendre ».
Le chef de la diplomatie américaine a simplement signifié au président panaméen José Raúl Mulino que la Maison-Blanche s’inquiétait de l’influence de la Chine sur le canal.
« En contraste frappant avec la belligérance dont a fait preuve son président, Marco Rubio s’est montré affable dès la première minute. Face au rictus contrarié que montre son président lorsqu’il parle du Panama, Rubio fit un exercice d’empathie au milieu de l’ouragan », explique encore le quotidien Mi Diario.
Le 2 février, le gouvernement panaméen déclara qu’il retirera l’isthme du Panama du projet chinois des Nouvelles routes de la soie !
Gérard Cardonne, Reporter Sans Frontières