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Féminicide

On nous enterre deux fois,  par les coups, puis par le silence

J’aimerais écrire que nous avançons.
Que les chiffres reculent, que les coups cessent, que les cris se transforment en lois et que les marches deviennent des abris.
Mais ce serait mentir.

Chaque année, des dizaines de femmes tombent. Certaines sont retrouvées trop tard, d’autres jamais. Des prénoms se succèdent, des visages disparaissent dans un coin d’article, dans un bandeau discret, dans vingt secondes d’indignation.
On parle de féminicides comme on parle de météo : un fait divers de plus, un chiffre qui bouge, une statistique qui s’ajoute, une fatalité qu’on commente au lieu de la combattre.

Et pourtant c’est une guerre. Une guerre sans ministère, sans commémoration, sans drapeau.
Juste des corps, des enfants traumatisés dont les larmes ne s’oublient pas. Des chambres vides.

Et face à cette guerre, on tweet.
on s’indigne. 24 petites heures. Puis on oublie, jusqu’à la prochaine morte.

La justice avance comme un cortège funèbre.
Plainte après plainte, dossier après dossier, tout s’enlise. Des femmes demandent de l’aide, et on leur répond patience lorsque l’on ne leur rit pas au nez.  On leur propose un rendez-vous dans trois semaines. Trois semaines, trois mois et plus,  quand la peur et les coups sont quotidiens et qu’il faut malgré tout protéger les enfants. Quand le père ou  l’homme qui menace dort à côté, quand chaque nuit ressemble à un compte à rebours.

Les flics sourient et les renvoient dans leur enfer, les plaintes ne sont même pas prises, les politiciens annoncent des plans contre les violences, des plans qui brillent au moment du discours, puis s’évaporent en budget insuffisant, en formation bâclée, en circulaires déchirés dans une poubelle.

Et le mouvement MeToo, né, soit disant, pour « libérer » les voix, a laissé derrière lui une géographie incomplète.
Le mouvement préfère les projecteurs qui éclaire les plateaux, le scandale médiatique qui dévore les unes. Il préfère  les tweets, ou l’on célèbre des victoires symboliques, mais dans les faits, il fuit les foyers d’accueil, ignore celles qui n’ont pas d’avocat, pas de notoriété, pas de micro. 

Que change-t-on pour celles qui survivent avec leurs enfants dans un studio trois étages plus haut que leur bourreau ?

Le silence des médias est un linceul.
Il tombe sur les femmes discrètes, celles qui travaillent, qui tissent leurs vies dans l’ombre, qui ne demandent qu’à continuer d’exister.
Mais quand elles tombent, personne ne titre.
Elles deviennent un numéro au journal du soir puis plus rien.

Je pourrais rester factuelle. Froidement analytique. Mais ce serait trahir celles qui n’ont plus de voix. Celles qui ont porté la peur sur la peau. Qui ont connu les placards dans lesquels on se cache, les nuits où l’on planifie les issues, les matins où se lever est un acte de résistance.
Ces femmes si seules qui ont demandé de l’aide, mais qui n’ont trouvé que des portes, des délais, des regards pressés.
On leur dit d’attendre. On leur dit de prouver la marque de la souffrance inscrite sur leurs peaux et dans leurs âmes, Comme si survivre ne suffisait pas.

Alors j’écris pour elles.
Pour celles qui respirent encore, mais à peine.
Pour celles qu’on sauvera si l’on arrête d’écouter seulement les voix médiatiques, et qu’on descend en bas, là où l’on humilie, là où l’on frappe, là où l’on hurle, là où l’on meurt.

Elles n’ont pas besoin de hashtags éternels. Elles ont besoin d’abris ouverts 24h/24.
De policiers formés à croire au lieu de soupçonner.
De juges qui protègent avant que l’on ne les enterre.
De budgets qui valent autant qu’une vie humaine. Elles ne veulent pas seulement parler. Elles veulent juste vivre.

Que cette tribune soit un rappel, un coup de poing, un poing sur la table.
Tant que l’on comptera des mortes, ce pays ne sera pas en paix.
Le silence, médiatique, politique, militant, n’est pas neutre.
C’est un consentement.

Silvia Oussadon Chamszadeh

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