L’Europe en mode canailles

Il arrive que les institutions censées incarner la morale se retrouvent rattrapées par les mêmes turpitudes qu’elles prétendent combattre. L’Europe vient d’en offrir une démonstration accablante. 

Le 5 novembre 2025, plusieurs médias belges et européens ont révélé un scandale judiciaire de première ampleur. En France, silence radio.

Au centre de la tempête : Didier Reynders ancien ministre belge, figure tutélaire du Mouvement Réformateur, et surtout ex-commissaire européen à la Justice entre 2019 et 2024, Celui que Bruxelles avait érigé en champion absolu de la lutte contre le blanchiment, ce Monsieur Anti-Blanchiment qui sermonnait les États laxistes et gérait, entre autres, les avoirs russes gelés depuis 2022 est mis en examen pour blanchiment d’argent.

Ironie du sort ? Non : symptômes.

Ce dossier qui traîne depuis des années éclate enfin. Grâce aux investigations de Follow the Money, du Soir, du Vif et du Standaard, la chronologie est désormais limpide :

1. En 2018 Reynders dépose près de 700 000 euros en espèces sur son compte ING Belgique. La banque signale l’opération.

2. La Loterie nationale belge alerte à son tour : achats massifs de jeux de hasard, pour 200 000 euros, gains reversés sur le compte du même Reynders. Plainte pour soupçon de blanchiment.

3. La Banque nationale ouvre une inspection contre ING.

4. Enquête silencieuse de la police judiciaire fédérale.

5. 1er décembre 2024 une perquisition au domicile de l’ancien commissaire. Reynders évoque des ventes d’œuvres d’art. Son épouse, magistrate retraitée, est entendue.

6. Le 16 octobre 2025, le juge d’instruction le met en examen.

7. Début novembre 2025,  le scandale éclate dans la presse.

Le mécanisme présumé ? Simple comme un lave-linge : acheter en cash, encaisser des gains déclarés, faire passer l’argent pour de l’argent « propre ». Rien de nouveau, mais diablement efficace et terriblement embarrassant pour celui qui, à Bruxelles, traquait officiellement ces pratiques.

L’hypocrisie comme méthode européenne

L’affaire dévaste l’image des institutions européennes, déjà fragilisées par l’opacité, les passe-droits, les affaires qui s’empilent, les magouilles qui deviennent monnaie courante, sans jamais éclater.

Reynders n’était pas n’importe quel commissaire,  il incarnait la crédibilité morale de l’Europe dans la lutte contre les circuits occultes, la finance grise, les fonds russes gelés.

Le voilà soupçonné d’avoir pratiqué à titre privé ce qu’il combattait en public.

Un grand classique, certes, mais un coup très dur pour l’Union.

La France n’a pas de leçons à donner et ceux qui font mine de s’étonner n’ont pas bonne mémoire. 

Nous avons eu Cahuzac, ministre du Budget jurant, la main sur le pupitre de l’Assemblée, qu’il n’avait aucun compte caché. On sait ce qu’il en était : Suisse, Singapour, dissimulation fiscale et cynisme intégral.

Les mêmes schémas, les mêmes regards candides, les mêmes morales proclamées et les mêmes comptes bien à l’abri ailleurs.

La politique, cette école de l’impunité

Certains responsables semblent convaincus qu’ils ne vivent pas dans le même monde que le citoyen qu’ils régulent. Ils édictent la règle, Ils s’en exemptent.

Quant à la justice… Elle avance, dit-on, “au pas du juge”. Il faudrait parfois qu’elle avance au pas du citoyen.

La Fontaine l’avait écrit : rien ne change

« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir. »

Nul besoin d’interpréter : tout est dans la phrase. La Fontaine n’a jamais servi autant qu’en 2025.

Ses fables ne sont pas des textes moraux. Ce sont des constats. Et ces constats, trois siècles et demi plus tard, restent les mêmes.

Chanoine

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