La chronique de Patrick Pilcer
Vendredi 31 octobre, pendant qu’enfants et adultes enfilaient masques et costumes pour Halloween, les députés, eux, ont préféré un autre déguisement : celui du non-sens fiscal. PS, Modem et RN, main dans la main, ont voté ensemble un impôt sur la « fortune improductive ». La gauche et l’extrême droite, réunies sous le même drapeau de la « taxation vertueuse ».
On s’attendait déjà à un film d’horreur. Ce fut un carnaval.
Car enfin, qu’est-ce qu’une fortune improductive ? Voilà un concept aussi flou qu’un brouillard d’automne sur la Seine. Est improductif ce qui ne rapporte pas ? Ce qui n’est pas immédiatement rentable ? Ce qui ne plaît pas au pouvoir du moment ?
Même l’écriture de cet amendement n’éclaire pas vraiment. On ôte de l’assiette les résidences principales et l’immobilier locatif non touristiques. Là c’est une nette amélioration de l’IFI actuelle. En fait, cela revient à le supprimer en bonne partie. Il fallait aller jusqu’au bout de la logique et le supprimer intégralement.
Mais par cet amendement, quelqu’un qui vit dans un château ou dans une propriété au Cap d’Antibes ne paiera plus non plus d’IFI, pas plus qu’une famille dans un simple appartement bourgeois. C’est une nouvelle façon d’envisager la « Justice Fiscale », version PS/Modem/RN…
Un tableau de maître, un terrain en friche, des chevaux, des bijoux, un voilier, un yacht, une forêt ? Où s’arrête la productivité, où commence l’arbitraire ?
Dans le même texte, les unités de compte dans un contrat d’assurance-vie sortent de l’assiette fiscale mais les fonds dits euros sont dedans. Or ces fonds sont en très grande partie investis en obligations de l’Etat Français.
Autrement dit, financer l’Etat Français est considéré par l’alliance PS/Modem/RN comme « improductif » !
On savait que le financement de nos dépenses publiques était un puits sans fond, une véritable gabegie, mais de là à dire qu’il est improductif et qu’il convient d’inciter à se détourner des obligations d’état, il fallait oser.
Le nouvel attelage PS/Modem/RN l’a fait ! On nage en plein délire.
Le député PS de l’Eure, Philippe Brun, n’a même pas vu le ridicule de la situation. Il s’est précipité comme à son habitude devant chaque caméra qu’il trouvait cette fois pour crier qu’il avait « rétabli l’ISF ».
Il faudra qu’il explique aux électeurs normands que la filière équestre, très présente dans cette région, est « improductive ». Il faudra qu’il explique aux bijoutiers, aux joailliers, aux constructeurs de bateaux, aux salariés des ports de plaisance, aux galeries d’art, aux peintres, aux sculpteurs… que ce qu’ils produisent est tout bonnement « improductif »… Lui qui rêve du ministère du Budget depuis qu’il pense que la gauche a gagné les élections en juillet 2024, va devoir trouver les éléments de langage pour expliquer à la Direction du Trésor que son sous-amendement détourne les Français de l’achat d’obligations d’Etat mais que cela permettra de créer des recettes et de réduire le déficit !
Philippe Brun, comme tous les députés de cette alliance PS/Modem/RN, confondent Halloween et Carnaval. C’est lors du Carnaval que les fous sont rois, mais ils ne sont rois que le temps du masque…
Comme à Carnaval, on inverse l’ordre social, mais rappelons-leur que cette inversion n’est qu’éphémère : elle ne renverse pas le pouvoir, elle le parodie ! Le Carnaval désamorce les tensions d’une société en pointant des situations ridicules. C’est finalement ce qu’ont réussi à faire ces Députés : se ridiculiser et ridiculiser le comportement actuel d’une bonne partie de l’Assemblée Nationale !
Mais sur le fond du sujet, il y a plus grave : une partie de l’Assemblée considère qu’une partie de notre économie est « improductive » à leurs yeux.
Il faut dire qu’Edouard Philippe avait largement ouvert la boîte de Pandore lors du Covid.
Souvenons-nous : en 2020, en pleine crise du Covid, Édouard Philippe avait décidé de fermer les entreprises non essentielles. Même erreur de raisonnement : l’État prétend distinguer le « bon » du « mauvais » capital, le nécessaire du superflu, la vertu de l’oisiveté, l’essentiel du non essentiel, le productif de l’improductif.
Résultat : l’économie s’est arrêtée, la production s’est effondrée, et les mêmes qui dénonçaient les inégalités se sont retrouvés à subventionner… « l’improductif », « le non-essentiel », quoiqu’il en coûte… On ne mesure jamais mieux l’absurdité bureaucratique qu’à la lumière des bonnes intentions.
Allez dire aux salariés, aux commerçants, aux entrepreneurs que leur activité est « non-essentielles », « improductives » et demandez-leur ensuite de voter pour vous… Bonne chance aux candidats du PS/Modem/RN…
Le problème n’est pas de taxer — il est de comprendre ce qu’on taxe, et de le faire en fonction d’un projet clair de société, d’un pacte social, d’un avenir commun.L’investissement, l’épargne, la propriété ne sont pas des péchés. Ce sont les piliers de la croissance économique, de la production de richesse d’un pays et de la transmission intergénérationnelle. Les frapper, les taxer lourdement, c’est punir ceux qui anticipent, qui construisent, qui prennent des risques — bref, ceux qui croient encore à l’avenir, pour ne pas dire à un avenir en France.
À l’heure où la France a besoin de prise de risque, de croissance, d’innovation, une courte majorité des élus choisit la stigmatisation et la facilité. On préfère désigner des boucs émissaires plutôt que de réformer les dépenses publiques. On préfère flatter les émotions que servir la raison.
Le courage politique, c’est de dire la vérité : il n’y a pas de richesse improductive dans un pays qui investit dans la liberté, le travail et la responsabilité.
L’autre vérité, c’est que le PS cherchait une victoire symbolique pour éviter de voter une censure ces prochains jours, une censure qui entrainerait une dissolution. Ils cherchent, comme Lecornu et Macron, à gagner du temps pour que la dissolution soit impossible ou inutile. Ils savent très bien que cet impôt sur la « fortune improductive » ne rapportera rien, sera contourné facilement et qu’il ne devrait même pas être voté en dernière lecture. Mais ils tentent le coup, ils tentent de prendre les Français pour les derniers perdreaux de l’année.
Pendant plus d’un an, ils ont prétendu devant toutes les caméras avoir gagné les élections de 2024. Le rejet de la taxe Zucman a démontré par A+B que c’était très loin d’être le cas. Ils vont prétendre quelques jours encore avoir réussi à rétablir l’impôt sur la fortune. Mais là encore la réalité est bien différente.
Il est temps que ce carnaval prenne fin et que les fous retournent à leur vraie place ! Espérons-le pour la santé mentale et économique de notre pays…
Ce 31 octobre, la nouvelle alliance PS/Modem/RN a joué à nous faire peur ; elle a au moins réussi à nous faire sourire. Mais ce sont notre économie et tous les Français qui risquent de moins rire si le carnaval dure trop longtemps et d’en payer la facture.
Patrick Pilcer
Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers, auteur de « Ici et maintenant – lecture républicaine de la Torah » (préface du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, éd. David Reinharc). Prochain livre à paraître le 12 novembre 2025 : « Radicalement républicain. Le mur n’est pas une fatalité. » Éditions InterVision.