Le suicide politique assisté de François Bayrou. Trois échecs, une leçon.

La chronique de Patrick Pilcer

François Bayrou a hier scellé son destin politique dans un acte que l’on peut qualifier de suicide assisté : il a demandé aux Français un vote de confiance, sans jamais avoir créé les conditions de la confiance. Échec annoncé, échec consommé. Les députés ont donc appliqué la loi sur la fin de vie que Bayrou avait fait voter il y a peu : ils l’ont débranché avec son consentement éclairé. Suicide politique assisté, car nul ne l’a poussé : il a choisi, de lui-même, de demander aux Français un acte de foi alors qu’aucun préalable n’avait été posé pour susciter leur confiance.

Il y a dans cet épisode un parfum de déjà-vu. La France politique est coutumière de ces rendez-vous manqués où l’on convoque les urnes pour un blanc-seing, et où l’on reçoit en retour un désaveu cinglant. Michel Barnier en fit les frais dans sa tentative de se poser en homme d’expérience rassurant : il avait confondu raison et adhésion. Emmanuel Macron en a payé le prix lors des élections de 2024 qui suivirent sa dissolution ratée : croire qu’une posture jupitérienne, qu’un « en même temps » répété, suffirait à fédérer une majorité. Dans les trois cas, la mécanique est identique : lorsque l’on demande aux Français de signer un chèque en blanc, sans répondre à leurs attentes les plus immédiates, on s’écrase contre le mur.

La confiance ne se décrète pas

La règle est pourtant claire. Les Français ne refusent pas par caprice. Ils refusent parce que leurs besoins réels ne sont pas entendus. À quoi sert-il de parler de rigueur, d’équilibres macroéconomiques, d’Europe forte ou de diplomatie audacieuse, si dans le quotidien de nos concitoyens persistent les angoisses les plus simples ?

D’abord le pouvoir d’achat. Quand François Bayrou appelle les Français à « se serrer la ceinture », il renforce l’impression d’un mépris de classe : on exige des ménages qu’ils sacrifient alors que l’État, lui, n’a jamais osé réduire sérieusement son train de vie. Dans un pays où la dépense publique frôle 59 % du PIB, où le déficit dépasse 5 %, où la dette publique tutoie les 3 400 milliards d’euros, demander toujours plus aux contribuables sans couper dans la gabegie relève de la provocation. Quelques exemples suffisent : la fraude sociale ; un assistanat devenu hors de contrôle ; des aides et niches fiscales dispersées dont l’efficacité n’est jamais évaluée ; un millefeuille administratif où se superposent communes, intercommunalités, départements, régions, agences et comités consultatifs à n’en plus finir. Comment faire confiance à un État incapable de se réformer lui-même ? Les Français sont prêts à contribuer, ils le font depuis des décennies, mais en contrepartie l’Etat, et ses dirigeants, doivent montrer l’exemple et prouver l’efficacité des mesures proposées.

Ensuite la sécurité. La première des libertés, disait déjà Mirabeau. Et pourtant, dans trop de quartiers, de villages, de transports, les Français vivent dans la peur : peur des agressions, peur de l’impunité, peur d’un État qui regarde ailleurs. Là encore, la confiance ne se demande pas, elle se gagne. Les Français attendent des actes : plus de policiers sur le terrain, une justice plus rapide, des sanctions exécutées, une tolérance zéro face aux séparatismes. Au lieu de quoi on leur sert des promesses vagues et des plans jamais suivis d’effets.

Troisième pilier : l’efficacité des services publics. Les Français paient beaucoup, mais reçoivent mal. Les hôpitaux saturent, l’école s’effondre dans les classements internationaux, les délais de justice sont interminables. La fracture est visible : un État omniprésent dans les discours, mais absent dans les vies. Comment voter la confiance quand le quotidien rappelle chaque jour la défaillance de la puissance publique ?

Enfin, la laïcité, le quatrième pilier, invisible pour beaucoup mais si indispensable à tous. Chaque jour, nos enseignants, nos directeurs d’école, nos élus locaux témoignent des attaques, parfois frontales, contre ce principe fondateur de notre République. Or l’État tergiverse, temporise, laisse se multiplier les entorses. François Bayrou, en janvier 2025 comme hier, n’a pas su porter un discours clair et ferme sur la défense de la laïcité. Là encore, comment demander la confiance lorsqu’on recule sur ce qui fait l’essence même de notre contrat républicain ?

Trois échecs, une leçon

Bayrou hier, Barnier fin 2024, Macron en juillet 2024 : la séquence politique française révèle une constante. Chaque fois qu’un dirigeant ou un prétendant demande une confiance implicite ou explicite sans avoir bâti les fondations — pouvoir d’achat, sécurité, services publics, laïcité — il s’expose au désaveu.

Hier, François Bayrou a cru pouvoir franchir ce gouffre sans pont. Il s’est élancé, et il a chuté. Comme Michel Barnier avant lui. Comme Emmanuel Macron en 2024.

Car la confiance n’est pas un droit, c’est un devoir. Elle ne s’octroie pas par habitude, elle se mérite par des preuves. Les Français, souvent caricaturés comme versatiles, sont au contraire d’une logique implacable : ils accordent leur soutien lorsqu’ils sentent qu’on s’occupe d’eux, de leur quotidien, de leurs angoisses. Mais ils sanctionnent sans pitié ceux qui semblent vivre hors sol, obsédés par des équilibres lointains ou des postures de communication.

Le peuple français n’est pas ingrat, il est rationnel. Par l’intermédiaire de ses représentants, il n’a pas refusé hier par caprice, il a refusé parce qu’on lui demandait une confiance en trompe-l’œil, une confiance sans contrepartie.

Une rentrée impossible

Le gouvernement Bayrou, né fragile, était condamné depuis l’annonce des mesures budgétaires injustes qu’il envisageait. Il s’est fracassé sur l’écueil qu’il n’a pas voulu voir : la confiance ne se demande pas, elle se construit. Et elle se construit en répondant aux priorités vitales des Français : redonner du pouvoir d’achat, assurer la sécurité, réformer en profondeur les services publics, réarmer la République par la laïcité.

Faute d’avoir compris cette règle simple, François Bayrou a signé hier son arrêt politique. Après Macron et Barnier, il illustre un mal profond : la France est gouvernée par des hommes qui demandent sans donner, qui réclament sans bâtir. Leurs échecs répétés devraient nous éclairer : la démocratie n’est pas un contrat d’adhésion aveugle, mais une relation fondée sur la réciprocité. 

À force d’oublier cette règle d’airain, nos dirigeants s’étonnent de leur propre échec. Mais ce ne sont pas les Français qui ont trahi leur confiance : ce sont eux qui n’ont jamais su l’inspirer.

Et tant que nos dirigeants l’oublieront, ils connaîtront le même sort : le mur.

Patrick Pilcer, Président de Pilcer & Associés, conseil et expert sur les marchés financiers, auteur de « Ici et maintenant – lecture républicaine de la Torah » préface du Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, éd. David Reinharc).

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