Le cinéaste iranien Jafar Panahi, torturé et emprisonné par le régime des mollahs, parvient pourtant à sortir du pays pour présenter à Cannes des films tournés clandestinement, avant de retourner pointer à la prison d’Evin. Ses actrices, filmées sans hijab, défient l’un des symboles les plus visibles d’un pouvoir autoritaire. Et pourtant, ce pouvoir les laisse faire. Comment comprendre ce paradoxe ?
Peut-être faut-il envisager que ces “dissidents” ne soient pas des opposants au sens classique, mais les agents d’un système en transition. L’Iran des mollahs serait alors en train de préparer sa mue, à la manière de la Chine : conserver une façade idéologique chiite, tout en s’habillant d’un capitalisme d’État taillé sur mesure. Les dissidents “autorisés” seraient ainsi les catalyseurs d’une transformation contrôlée. Des éclaireurs permettant de réécrire le récit national sans en briser la colonne vertébrale.
L’histoire religieuse du chiisme n’est d’ailleurs pas étrangère à cette complexité. Le Coran lui-même, lu chronologiquement, semble refléter les états successifs de son prophète : jeune et sans ressources, Mahomet dicte des versets empreints de tolérance ; marié à Khadija, il s’ouvre à l’élite commerciale, et son discours se durcit, devient conquérant et le texte plus vindicatif. Le chiisme a hérité de cette pluralité, chaque tendance puisant sa légitimité dans le texte sacré.
Ce chaos apparent pourrait bien être orchestré. Un régime qui sent la nécessité de “tout changer pour que rien ne change” laisse donc jouer, dans une marge étroite, une opposition certaine. Pour attirer des capitaux, ouvrir son économie tout en maintenant l’illusion de changement dans la continuité.
Panahi, alors, devient à la fois victime et rouage d’une transition politique.
Alex Rohanne
(dessins de Alex Rohanne)