Tariffs or not tariffs

Il est amusant de voir saliver des économistes de plateaux, des anticapitalistes et des anti-Trump primaires et autres experts en tout genre à la vue des chutes massives en bourse et s’indigner d’une attaque contre le libre échange à la suite de l’imposition des droits de douanes par Donald Trump.

Bientôt la gauche française et les socialistes américains encenseront Hayek et Milton Friedman !

Qu’est-ce qui est rationnel derrière ce choix politique ?

S’attaquer aux déficits et à la dette, réindustrialiser le pays et reconstruire la classe moyenne appauvrie du pays, et bloquer l’expansion de la Chine. L’objectif principal est d’isoler la Chine.

Les élites américaines et les multinationales ont modifié le commerce mondial à partir des années 80 en délocalisant les usines et la production en Chine, permettant à la Chine de se propulser à la deuxième place mondiale et ce au détriment de la classe moyenne américaine et occidentale.

Trump siffle la fin de la partie. Il est conscient que le monde actuel est engagé dans une guerre froide 2.0 entre un bloc occidental dirigé par l’Amérique et un bloc dominé par la Chine. Fera-t-il chuter la Chine à l’instar de la chute de l’URSS grâce à la politique de Ronald Reagan ?

La dette et les déficits

L’arrivée de Trump à la Maison Blanche a coïncidé avec une croissance et une bourse au plus haut avec de l’inflation malgré une situation financière catastrophique. 

Le secrétaire au Trésor Scott Bessent et le président Donald Trump sont conscients des risques à long terme des déficits jumeaux et de l’explosion de la dette : 

Dette publique : plus de 36 trillions de dollars, soit plus de 124% du PIB

Déficit publique : près de 1,9 trillions de dollars, soit plus de 6% du PIB

Déficit de la balance courante : près de 900 milliards de dollars

Cette situation est intenable et le célèbre financier Warren Buffet avait déjà pointé ce problème dans une tribune publiée dans Fortune en novembre 2003 alors que les statistiques étaient nettement moins catastrophiques qu’aujourd’hui. En 2003, Warren Buffett s’inquiétait déjà de l’énorme déficit commercial, affirmant qu’il « volait » le pays, et proposait une solution qui punisse les importateurs.

Les USA ont besoin que les taux d’intérêts à long terme entre 10 et 30 ans redescendent vers des niveaux plus soutenables notamment lors des roulements de la dette et des nouvelles émissions de dettes à venir.

Les USA doivent refinancer près de 9 000 milliards de dollars cette année.

La réduction du déficit commercial est une des raisons pour lesquelles Trump veut imposer des droits de douanes envers les pays avec lesquels l’Amérique est déficitaire.

Théoriquement, un pays doit dévaluer sa monnaie lorsqu’il est structurellement en déficit, ce qui améliore sa compétitivité et ses exportations, améliorant ainsi sa balance commerciale.

Lorsqu’il est excédentaire, sa monnaie s’apprécie ce qui équilibre les termes de l’échange.

Depuis des décennies, la Chine manipule sa devise et la dévalue alors que le pays est en excédent. Dans le cadre des négociations actuelles et du bras de fer engagé par Trump, il est possible que certains pays échappent en partie ou intégralement aux tariffs et ce sous certaines conditions : 

importer plus de produits américains, réduire les droits de douanes ou les normes et les réglementations restrictives…réponse dans 90 jours.

La persistance des déficits depuis plusieurs décennies creuse la dette qui atteint des niveaux stratosphériques.

Depuis les années 80 et la politique de Deng Xiaoping, les Etats-Unis se sont désindustrialisés en délocalisant leurs usines en Chine. La Chine est devenue l’atelier du monde avec des usines à bas coûts battant toute concurrence.

La classe moyenne s’est appauvrie, perdant les emplois entraînant une baisse des revenus et des recettes fiscales. Les multinationales se sont basées dans des paradis fiscaux afin de réduire fortement leurs impôts face aux profits énormes grâce à une main d’œuvre chinoise. 

Économiquement, les tariffs ont pour but d’accroître les recettes fiscales et les emplois industriels ; les entreprises sont incitées à se relocaliser. De plus, avec une énergie pas chère et abondante grâce au schiste américain couplée à la baisse des impôts sur les sociétés à 15%, les entreprises auront un avantage comparatif majeur.

Politiquement, aucun pays ne peut avoir d’avenir prospère et stable en ayant sacrifié sa classe moyenne.

Le DOGE 

Le DOGE a pour objectif de s’attaquer à la gabegie dans la dépense publique. 

Le DOGE et Musk ont pour but de réduire drastiquement les déficits dont l’accumulation est le carburant de la dette qui atteint 36 trillions de dollars.

Le covid a dévoilé la fragilité des chaînes d’approvisionnement, la volonté de rapatrier la production doit se comprendre dans un contexte de sécurité nationale en cas de tensions avec la Chine.

L’objectif est d’isoler la Chine et de réécrire les règles du commerce mondial.

Il s’agit de former une coalition pour se protéger de la Chine et de ses contournements par des pays tiers. 

Les droits de douanes imposés aux alliés ont pour objectif de clarifier le positionnement des alliés : soit avec les USA, soit avec le Chine. 

L’Union Européenne va voir son industrie décimée si elle reste soft vis-à-vis de la Chine. On connaît déjà la réponse…

Bernard Arnault l’a bien analysé lors de l’AG de LVMH : « Je suis favorable à essayer de trouver la possibilité de créer une zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis…L’Europe est dirigée par un pouvoir bureaucratique qui passe son temps à éditer des réglementations…Si on se retrouve avec des droits de douane élevés, on sera amené à augmenter nos productions américaines. Si l’Europe n’arrive pas à négocier intelligemment, ils auront cette conséquence dans beaucoup d’entreprises. Si ça devait arriver, ce sera la faute de Bruxelles. »

L’Amérique se dirige désormais vers plus d’autosuffisance, plus d’indépendance stratégique.

Réindustrialisation et classe moyenne

Les élites ont grandement bénéficié du libre-échange, les populations pauvres du monde entier sont devenues moins pauvres, tandis que la classe ouvrière américaine a commencé à s’appauvrir en perdant son emploi. La vision d’un monde sans usine et basé sur les services, promue par les élites, n’a pas permis aux chômeurs de l’industrie de se reconvertir dans le secteur des services.

Tout le monde n’a pas vocation à être consultant ou spécialiste en marketing.

Mais alors que l’élite américaine tout entière célébrait le libre-échange, un nombre impressionnant d’Américains ont perdu les derniers bons emplois qui faisaient vivre leurs familles et leurs villes.

L’Amérique a ainsi connu des inégalités de richesse, des marges records des entreprises, des revenus plus faibles du fait de la désindustrialisation, une crise sanitaire du fentanyl avec le rêve américain brisé. 

Cela a également conduit à des déficits publics américains importants malgré un quasi-plein emploi, à un ratio dette/PIB qui s’accélère.

L’état de la société américaine impose un changement de politique pour conserver la stabilité du pays.

En plus de la délocalisation des usines américaines, et de la perte des emplois industriels, les chinois exportent des produits à bas prix fragilisant encore plus les petites entreprises.

L’objectif de la politique tarifaire est de restaurer la compétitivité américaine dans le secteur manufacturier, de rapatrier des emplois, de sécuriser les chaînes d’approvisionnement en biens essentiels et de protéger la sécurité nationale des États-Unis. Pour y parvenir, il y aura besoin d’un dollar américain nettement plus faible.

Cela entraînera-t-il une hausse de l’inflation ? Oui.

Officiellement, le secrétaire au Trésor est défavorable à l’inflation.  Toutefois, il est fort vraisemblable qu’il la souhaite ; car c’est ainsi qu’il réduira la dette américaine à savoir rembourser la dette en monnaie de singe.

Sécurité nationale et Chine

L’expérience du Covid nous a également donné un aperçu clair de l’exposition de la sécurité nationale aux pénuries chroniques de la chaîne d’approvisionnement en éléments essentiels en cas de guerres ou d’épidémies futures.

Les Etats-Unis ne peuvent dépendre d’autres pays pour l’acier, l’aluminium, les microprocesseurs, les médicaments, les terres rares. Ils ne peuvent tout particulièrement pas dépendre de la Chine et doivent briser cette dépendance.

Et pourquoi réindustrialiser les États-Unis ? Parce qu’en cas de guerre, un pays qui ne produit ni sa nourriture ni ses armes a très peu de chance de survivre.

De nos jours, les guerres commerciales sont imbriquées dans la géopolitique. Les droits de douane imposés par les États-Unis à la Chine visent principalement à contrer son essor stratégique.

Les États-Unis considèrent leurs politiques économiques comme un outil de protection de la sécurité nationale et de protection des industries essentielles contre la concurrence étrangère.

De même, les droits de douane imposés à l’Europe ont été en partie motivés par des inquiétudes quant à la dépendance de l’Union européenne à la Chine pour ses exportations et par la conviction que l’Europe bénéficiait injustement de ses normes et de la réglementation.

L’essentiel de ce nouveau paradigme économique est centré sur la maximisation des exportations, la minimisation des déficits commerciaux et la priorité donnée aux industries nationales.

Est-ce que cette stratégie va réussir ?

Ces tariffs, combinés à une chute volontaire des bourses, du pétrole et des taux d’intérêt, pourraient-ils servir à réindustrialiser les États-Unis et opérer un transfert de richesse des élites vers les classes moyennes ?

Selon des déclarations attribuées à Scott Bessent, secrétaire au Trésor, les tariffs sont un outil pour rééquilibrer Main Street face à Wall Street. Il soutient que les droits de douane favorisent les classes moyennes et les petites entreprises locales au détriment des grandes multinationales et du top 10 % des investisseurs, qui profitent souvent de la financiarisation et des délocalisations. N’oublions pas que seuls 10% des plus riches détiennent environ 89% des actions.

Pour le moment, Donald Trump atteint ses objectifs 

baisse du pétrole, baisse du dollar, baisse des taux longs. N’oublions pas qu’une baisse importante des impôts pour les ménages est prévue pour cette année. Ainsi, cette baisse combinée des prix à la pompe et des taux d’emprunts équivaut à une hausse du pouvoir d’achat pour le consommateur américain.

Par ailleurs, la baisse du pétrole (WTI) à 56$ pour un baril est un formidable coup de réalpolitik.

L’Iran et la Russie, pays producteur de pétrole, sont sous pression économique, donnant ainsi des atouts à Trump dans le cadre de ses négociations avec eux.

Quant à la Chine, avec une dette atteignant 300 % du PIB et une demande mondiale en ralentissement, l’imposition de droits de douane massifs par Trump pourrait être parfaitement programmée.

La Chine a contourné les premiers droits de douane du premier mandat Trump en utilisant des proxys et des pays tiers : les exportations du Vietnam et du Mexique vers les USA ont grimpé.

L’industrie manufacturière chinoise va être très durement touchée par les tariffs ; l’objectif est de couler économiquement Pékin. Trump a bien identifié les faiblesses de la Chine.

Bien que cela paraisse contre-intuitif, malgré la dépendance industrielle de l’Amérique à la Chine, Pékin sera le plus enclin à un accord commercial avec l’Amérique ces prochains mois, le pouvoir en Chine ne pouvant se permettre de l’instabilité économique et sociale.

Nous verrons si les politiques seront efficaces pour inciter les investisseurs à investir dans l’industrie manufacturière et les infrastructures américaines. L’afflux d’argent pourra améliorer la classe ouvrière américaine. C’est l’idée derrière les baisses d’impôts, la déréglementation, la baisse des prix de l’énergie et la rentabilité accrue du capital dans l’industrie, soutenue par des droits de douane qui créeront des emplois aux États-Unis. 

Pour conclure, les prochains mois nous dirons si l’administration Trump aura réussi son pari :

  1. Réduire les dépenses publiques de 1 trillion de dollars avec l’action du DOGE
  2. Engranger près de 1 trillion de dollars avec les droits de douane et baisser la fiscalité américaine
  3. Refinancer plus de 9 trillions de dollars de sa dette avec des taux les plus bas possible.
  4. Stopper l’ascension de la Chine

Donald Trump possède une faculté que peu de dirigeants ou patrons d’entreprises possèdent  : identifier avec précisions les faiblesses de ses adversaires et appuyer fortement là où cela fait mal.

Si son plan réussit, vous ne verrez pas les éditorialistes de plateau, adorateurs du libre-échange, s’excuser de leurs indignations sélectives clownesques.

Donald Duck

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