Western et Film Noir sont deux genres typiquement américains. Ils ont en commun vingt années de succès 1940 -1960, période durant laquelle ils se sont partagés les mêmes metteurs en scène, scénaristes et comédiens.
Le Western décrit le passé du siècle précédent, sublimé par les décors naturels de l’Ouest et le technicolor, tandis le Film Noir traite les problèmes de son temps et utilise le noir et blanc dans un milieu clos, celui des grandes villes.
Il est difficile sinon impossible de définir en quelques mots le Film Noir car il n’est pas un genre mais un style essentiellement visuel avec une constante, la fatalité. Le libre arbitre est un leurre. L’homme n’est pas maître de son destin, il le subit. C’est la prédestination de Saint Augustin ou le ‘Mektoub’ arabe (c’était écrit).
A partir de 1935 les meilleurs cinéastes européens, en particulier les Juifs allemands fuient le nazisme et arrivent à Hollywood. A cette époque, l’industrie cinématographique allemande est à la pointe des progrès techniques et à l’avant-garde du septième art. Ces migrants donnent un souffle nouveau au cinéma américain. Ils apportent, tout en conservant le Kammerspiel (l’unité des 3 règles : lieu-temps-action), l’expressionnisme allemand mais de façon plus modérée que celui du théâtre.
Dans le Film Noir l’image devient aussi Importante que l’action. Les grands directeurs de la photo, comme John Alton ou James Wong Howe, parviennent à créer une atmosphère pesante par un éclairage latéral et différentes techniques comme la pénombre ou les rais de lumière. Les nouvelles pellicules à grande sensibilité et à fort contraste permettent des prises de vue la nuit, accentuent les traits et les expressions du visage. Le progrès technique des caméras leur donne une plus grande souplesse. Les cadrages sont audacieux comme la contre-plongée ou la prise de vue en diagonale. Les plans sont courts, les dialogues réduits à l’essentiel, le montage sec. Il n’y a pas de temps mort. Bref, un nouveau vocabulaire change l’esthétique de l’image.
Les tournages se font généralement en studio quitte à reconstituer des rues entières. Ils permettent de travailler plus vite et surtout d’exagérer par le jeu des lumières une atmosphère angoissante. Le récit se passe souvent la nuit dans des clubs et le côté sordide des bas-fonds est parfaitement restitué.
Les premiers Films Noirs de la fin des années 30 / début 40 ont pour sujet la criminalité urbaine, d’où la confusion du public avec le film policier. Puis Il s’ouvre à l’actualité du moment : Le nazisme et l’antisémitisme – L’espionnage – Le traumatisme des Boys de retour au pays et leurs difficultés à s’intégrer dans une société nouvelle – L’insécurité et la pègre – La corruption – La peur du nucléaire – le communisme et la guerre froide.
Les personnages du genre sont des cas : policiers ou juges corrompus, gangsters cruels, aliénés, sadiques, antisémites, psychopathes et névrosés. La lie de la société évolue dans les bas-fonds américains, mais la morale finit par triompher.
Les scénarios sont travaillés plusieurs fois par des auteurs différents et subissent la censure du PCA (Production Code Administration, le code Hays). Les producteurs amputent très souvent le montage du réalisateur. Les nouvelles versions que nous connaissons déforment souvent la vision du réalisateur. Un exemple : Les films d’Orson Welles ont été mutilés, remontés avec ajouts de séquences tournées par d’autres : Le Criminel 1946 (nouveau générique, suppression de plans et même de scènes complètes) – La Dame de Shanghaï 1948 (plans pirates, modifications de la bande sonore, séquences entières supprimées) – La Soif du Mal 1958 (après remontage, sa durée passe de 115 à 92 minutes). Nombreux réalisateurs réfuteront la paternité de certaines œuvres défigurées pour les raisons politiques ou commerciales.
Le monde du cinéma de cette époque est politiquement à gauche et compte de nombreux communistes. Ils subiront la chasse aux sorcières du maccarthisme et de grandes figures du cinéma deviendront des délateurs. Malgré une peinture désabusée de l’Amérique de l’après-guerre, le Film Noir connait un succès populaire dans les années cinquante.
Les plus grands comédiens participent au genre : Humphrey Bogart – James Cagney – Van Heflin – Peter Lorre – Robert Mitchum – Sterling Hayden – Edward G. Robinson – Orson Welles …Quant aux actrices, elles ont toujours un second rôle, celui de garce ou de femme fatale : Lauren Bacall, Gloria Grahame – Rita Hayworth – Janet Leigh – Veronica Lake – Ida Lupino (elle fut également une réalisatrice de talent) – Agnes Moorhead – Lisabeth Scott – Barbara Stanwick – Lana Turner – Marie Windsor… Boulevard du Crépuscule 1950 avec Gloria Swanson est une des rares exceptions.
Le genre disparaît dans les années soixante, mais les chefs d’œuvre demeurent, parmi eux : Adieu ma Jolie 1944 d’Edwards Dmytryk avec D. Powell ( détective Marlow) – Assurance sur la Mort 1944 de Billy Wilder avec Barbara Stanwyck, Edward G. Robinson ( assassinat du mari) – Feux Croisés d’Edward Dmytrick avec R. Ryan, R. Mitchum (antisémitisme) – La Dame du Lac 1947 de Robert Montgomery et comédien – L’enfer est à lui 1949 de Raoul Walsh ( cynisme, paranoïa avec J. Cagney en gangster psychopathe) Le Gouffre aux Chimères 1951 de Billy Wilder avec K. Douglas (critique du journalisme) – I was a communist for the FBI de Gordon Douglas 1951 (anti-rouges) – Alerte à Singapour de Robert Aldrich 1954 avec Dan Duryea – La Nuit du Chasseur de Charles Laughton 1955 avec R. Mitchum, S. Winters (prédicateur et assassin à la poursuite d’un enfant. Nuit blanche garantie) – La Maison de Bambou de Samuel Fuller 1955 avec Robert Ryan (anciens G.I. devenus criminels – homosexualité) – Ultime Razzia 1956 de Stanley Kubrick avec Sterling Hayden (hold-up) – En Quatrième Vitesse de Robert Aldrich 1955 (nucléaire).
Le Film Noir attaque le fascisme américain des années 50 comparable à celui actuel de Donald Trump. Malgré toutes les intrigues propres au film policier, il n’est pas une simple histoire de gangsters, de policiers et de détectives, mais le reflet d’une société angoissée.
Pour en savoir plus : L’Encyclopédie du Film Noir d’Alain Silver et Elizabeth Ward, 1987 (les 331 meilleurs films. LA référence sur le sujet, malheureusement épuisé) – Film Noir Guide, 2003, en anglais, de Michael F. Keaney – Avec de nombreuses réserves : le dernier en date, Encyclopédie du Film Noir 2019 de Patrick Brion.
Léon Terjanian