Des tas de droits

On nous rebat les oreilles avant cette antienne : « La France est un État de droit ». C’est, en effet, une très bonne chose que la France soit un Etat de droit, mais elle est un Etat de droitS, avec beaucoup de « S », qui varient selon que vous êtes d’un côté ou de l’autre de la barrière entre le Bien et le Mal-pensant. Comme disait La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Aujourd’hui il ajouterait : « selon que vos idées sont bonnes ou mauvaises… »

D’aucuns ont estimé que la décision rendue par le Tribunal correctionnel de Paris le 31 mars dernier était à l’honneur de la justice française.

Lorsqu’on est attaché à l’Etat de Droit, on peut ne pas être d’accord avec cette décision, sans pour autant donner des gages à qui ou quoi que ce soit.

Juridiquement, cette décision est bancale pour au moins deux raisons :

1) l’évocation d’un concept fumeux et non-juridique :

« L’atteinte aux intérêts de l’Union européenne revêt une gravité particulière dans la mesure où elle est portée, non sans un certain cynisme mais avec détermination, par un parti politique qui revendique son opposition aux institutions européennes. »

Ce qui signifie que si le RN était un parti pro-européen, on n’aurait pas cette motivation, ce serait « moins grave » s’il avait d’autres idées. Il n’y a aucun fondement juridique à cette considération. (A ce propos, le RN n’est pas anti-européen mais anti-fédéraliste). Que cela plaise ou non, la Justice n’est pas là pour juger les idées.

2) le tribunal a bafoué le principe de la non-rétroactivité de la loi plus sévère :

« Si la peine d’inéligibilité n’était pas obligatoire à l’époque des faits dont les prévenus sont déclarés coupables, les lois postérieures illustrent néanmoins la volonté du législateur de mieux sanctionner les manquements à la probité pour restaurer la confiance des citoyens envers les responsables publics. Elles méritent à ce titre d’être évoquées. »

En clair, la loi que nous appliquons aujourd’hui ne s’applique pas aux faits commis antérieurement, mais nous l’appliquons quand même.

J’en ajoute une troisième : la possibilité de « l’exécution provisoire » d’une peine avant l’appel revient à vider l’appel de sa substance (puisque l’appel permet de rejuger une affaire sur le fond et la forme), alors que la possibilité d’y recourir est un principe fondamental de notre Droit. Par ailleurs, il est expressément dit dans la décision que la peine d’inéligibilité appliquée immédiatement a pour but de priver Marine Le Pen de se présenter à l’élection présidentielle, ce qui revient tout aussi expressément à priver le peuple français de sa souveraineté.

Quand on écrit cela, on ne défend pas le RN, on défend le Droit, l’Etat de droit.

O.T.

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