La Légion d’Honneur: De l’Excellence à la décadence

La Légion d’honneur, créée par Napoléon Bonaparte en 1802, est censée récompenser des mérites éminents rendus à la Nation, que ce soit dans les domaines militaires, civils, culturels, économiques ou sportifs. Depuis plusieurs décennies, des critiques récurrentes soulignent que cette distinction a perdu de son prestige, car elle est souvent perçue comme un cadeau politique ou une reconnaissance de fonctions occupées plutôt que de réelles.

Quand l’honneur se transforme en Goodie Bag

Autrefois, elle faisait rêver. Elle représentait un symbole de sacrifice, de grandeur, de mérites exceptionnels. Elle était synonyme de bravoure, d’héroïsme, d’excellence. Aujourd’hui, c’est à peine plus prestigieux qu’un autocollant « Best Student » qu’on colle sur le carnet d’un élève moyen. 

Parmi les récipiendaires de la dernière promotion du Nouvel An, on trouve des célébrités du showbiz, des sportifs et même des influenceurs des réseaux sociaux qui passent leur journée à poster des selfies et à promouvoir des produits de beauté. À force de distribuer cette médaille comme des flyers devant une grande surface, on se demande si l’on ne va pas finir par voir les influenceurs décorés pour avoir fait une story sur leur dernière collection de sacs à main, ou pour avoir publié la plus belle photo de leur cul nu.

Certains lauréats, un député connu pour ses nombreux démêlés avec la justice, ou encore une chanteuse pop dont le principal mérite est de cumuler des abonnés sur Instagram, ont suscité la controverse. On est loin des héros de guerre et des génies qui ont marqué l’histoire de France.

Jean-Paul Sartre, l’éternel râleur, déjà dans les années 60, n’avait pas mâché ses mots : « La Légion d’honneur, c’est la récompense des serviteurs du pouvoir et des complaisants. Et c’est bien là le problème : ce n’est plus la reconnaissance d’une vie dédiée à la patrie, mais un ticket d’entrée dans les salons feutrés du pouvoir… un badge pour ceux qui savent très bien plaire aux puissants. »

En clair, si vous êtes capable de donner la réplique dans un dîner avec un ministre ou d’organiser un événement caritatif dont le seul but est de vous faire photographier à côté de personnalités, félicitations ! Vous êtes éligible.

Alain Ducasse, chef étoilé, a ainsi décroché sa Légion d’honneur en 2016, non pas pour avoir sauvé un restaurant de la ruine ou redonné de l’espoir à une brigade de cuisine en détresse, mais pour « son engagement culturel« . À ce tarif là, on pourrait aussi la décerner à un food truck pour l’innovation culinaire sur les marchés locaux. Mais la République a jugé qu’il était un ambassadeur de la culture française parce qu’il a réussi à faire passer des légumes sous cloche à des prix stratosphériques. 

Depuis plusieurs décennies, des critiques récurrentes soulignent que cette distinction a perdu de son prestige, car elle est parfois perçue comme un cadeau politique ou une reconnaissance de fonctions occupées plutôt que réelles. Cela nous mène à un constat effrayant : la Légion d’honneur est devenue une médaille qui brille, mais plus pour ses lauriers que pour les valeurs qu’elle est censée incarner.

Pierre Rosanvallon, historien de la démocratie, avait vu venir cette dérive. « La Légion d’honneur risque de devenir un décor de pacotille « , disait-il. Et bingo ! Entre les people, les célébrités, les ministres médaillés pour leur jeton de présence, et même les cuisiniers. On attend maintenant la médaille pour le meilleur pâtissier ! La médaille est devenue aussi banale qu’un autocollant-récompense sur un site de vente en ligne.

L’ancien ministre de la Culture, Jean-Yves Le Drian, avait pourtant mis en garde contre cette tendance. « La Légion d’Honneur ne doit pas devenir un accessoire de mode, » avait-il déclaré dans un discours enflammé. Mais il semble que ses avertissements n’ont pas été entendus. Il reste à voir si un gouvernement prendra un jour des mesures pour corriger cette dérive ou si la Légion d’Honneur continuera de perdre de sa valeur symbolique.

Si vous connaissez la bonne personne, que vous avez fait un peu de lobbying, ou mieux encore, si vous avez un excellent agent de presse, ou un réseau influent, vous pouvez aussi vous retrouver décoré d’un joli ruban rouge. Un petit effort, un grand sourire, et vous voilà parmi « les méritants« 

Après tout, pourquoi pas ? L’honneur, à ce stade, ça se mérite presque plus sur Ticktock que sur les champs de bataille. Bientôt, vous pourrez être décoré pour avoir commenté la dernière publication présidentielle ou avoir organisé une soirée avec le ministre des Finances, simplement parce que vous avez trouvé le moyen de « représenter la France à l’international. »

Parions que très rapidement on la donnera même aux rédacteurs de journaux satiriques comme le Torchis, pour « services rendus à la nation » en réveillant les consciences endormies… Mais soyons réalistes, c’est bien plus facile de décorer un ministre pour sa dernière interview à la télé que de redonner à cette médaille son véritable sens en décorant les rédacteurs du Torchis.

L’honneur, ça se mérite ? Non. Ça se négocie.

Séraphine

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