À travers les décennies, le néolibéralisme s’est imposé comme un paradigme économique dominant, façonnant les politiques publiques et les comportements individuels. Si ses défenseurs mettent en avant l’efficacité des marchés et la liberté individuelle, ses effets sur le lien social et les solidarités sont profondément discutés.
En retraçant les racines historiques et philosophiques de cette pensée, il apparaît que son empreinte dépasse les sphères économiques, remettant en cause les bases mêmes des relations humaines.
Une pensée née au croisement de l’individualisme et de la libre entreprise
Les fondements du néolibéralisme remontent aux travaux de Friedrich Hayek et Milton Friedman, deux figures clés de l’École de Chicago. Selon eux, la liberté économique est le socle d’une société prospère. L’État, disent-ils, doit se limiter à des fonctions régaliennes et laisser le marché s’autoréguler. Pour Friedman, les politiques publiques doivent encourager la concurrence et l’innovation individuelle, tandis que Hayek s’inquiète des dangers de toute intervention étatique dans les mécanismes de marché.
Cette philosophie promeut un idéal : celui d’un individu libre, capable de maximiser son bien-être par ses propres moyens. Cependant, cette vision économique repose sur une conception abstraite de l’humain, conçu avant tout comme un agent rationnel et compétitif.
En voulant tout soumettre aux lois du marché, le néolibéralisme fragilise les structures sociales. La privatisation des services publics, la réduction des dépenses sociales et la marchandisation de secteurs comme la santé ou l’éducation ont eu des effets directs sur la cohésion sociale. Les solidarités collectives, autrefois portées par les institutions publiques et les réseaux communautaires, se sont érodées face à l’idéal d’autonomie individuelle.
Les liens sociaux – souvent qualifiés d’« inutiles » dans cette logique utilitariste – deviennent des obstacles dans un monde où la compétitivité et la productivité sont reines. L’accroissement des inégalités économiques, visible depuis les années 1980, est la preuve tangible de cette désagrégation.
L’une des critiques majeures faites au néolibéralisme est sa tendance à uniformiser les sociétés. En mettant l’accent sur la rentabilité, il réduit la culture et les expressions artistiques à des produits consommables. Cette homogénéisation menace la diversité des idées et des pratiques, et contribue à la marginalisation des pensées critiques.
Pour contrer cet effet, certains appellent à la création de « conservatoires de pensée » afin de préserver les cultures et les modes de réflexion qui échappent à la logique marchande. Loin d’être un caprice intellectuel, cette initiative vise à protéger des espaces d’imagination collective, nécessaires pour penser un futur alternatif.
Face à un modèle économique qui exploite les ressources naturelles sans considération pour leur préservation et laisse une part croissante de la population sur le bord de la route, l’urgence d’une alternative se fait sentir. Mais cette alternative ne pourra émerger sans un retour à une conscience collective, un projet qui valorise les solidarités et redonne une place centrale à l’humain.
À mesure que l’histoire du néolibéralisme continue de s’écrire, la question demeure : est-il possible de repenser l’économie sans sacrifier les liens qui nous unissent en tant que société ? L’enjeu, désormais, est de sortir de cette mécanique de marché omnipotente pour réinventer une société où liberté individuelle et justice collective coexistent.
Alex Rohanne