À l’occasion de la cérémonie commémorant l’assassinat du professeur Dominique Bernard, j’ai écouté un extrait du beau discours du maire d’Arras. Une phrase m’a marquée : «Un an après, nous sommes toujours debout ».
Je crois que c’est une phrase qu’on ressort tellement souvent qu’elle ne veut plus rien dire.
Parce qu’il y a bien des manières de se tenir debout.
On peut se tenir debout, droit, les poings serrés, le regard fier, les larmes aux yeux, maculés de sang, de boue, blessés, brisés, mais pas résignés. On peut se tenir debout, prêt à combattre et à lutter, ensemble.
Et puis, on peut aussi se tenir debout mollement, en retrait, voûté, la tête basse, les épaules rentrées. On peut se tenir debout et avoir l’air d’être à genoux, on peut se tenir debout par fanfaronnade, pour masquer le fait que, si nous continuons ainsi, une pichenette suffira bientôt à nous envoyer au sol.
De petites lâchetés en grosses saletés, de concessions en capitulations, d’accommodements en arrangements, d’abandons en abstentions, nous reculons. Nous nous avachissons. Entre les coups sanglants directs portés par les terroristes et les encouragements à l’abdication lancés par minable calcul électoral, nous nous enfonçons dans le sol, chaque mois, chaque année un peu plus.
Nous sommes toujours debout certes, mais nous n’avons plus de colonnes vertébrales et plus de muscles pour nous soutenir. Nous bombons encore le torse pour faire illusion, mais en réalité, nous sommes comme ces épouvantails dans les champs, qui ne tiennent que par la force de quelques piquets de bois et sur lesquels, les corbeaux finissent toujours par se poser, triomphants et narquois.
Alors, tristes poupées de chiffons, nous baissons la tête et nous commémorons.
Les enfants de Toulouse et les militaires de Montauban, les trublions de Charlie Hebdo, les clients de l’hypercacher de Vincennes, l’insouciante jeunesse du Bataclan, les joyeuses familles de Nice, les policiers de Magnanville, le vieux prêtre de Saint-Etienne-du-Rouvray, les adolescentes de la gare saint Charles à Marseille, le colonel Arnaud Beltrame, les badauds du marché de Noël de Strasbourg, les professeurs Samuel Patty et Dominique Bernard… Nous commémorons.
Nous sommes encore debout, oui, mais comment, à quel prix et pour combien de temps ?
Puisse le souvenir de toutes ces victimes nous soutenir afin que nous nous tenions réellement debout, eux dont les corps sont désormais allongés, pour l’éternité.
Nathalie Bianco