« La Chapelière du Yang-Tsé » est mon troisième roman. Un roman très différent des deux précédents. Un livre bouleversant tant à écrire qu’à relire.
Elsa, son héroïne, est un personnage attachant et même si je la sais être un personnage « de roman », je pense souvent à elle. En lui donnant vie, j’en suis responsable, comme un père l’est pour son enfant.
« La Chapelière du Yang-Tsé » sort en librairie le 17 mai. Elsa vous donne rendez-vous.
Jean-Marie KUTNER
L’histoire
« Tout ce qui se passe dans la vallée, ne doit pas sortir de la vallée »
Dans ce village vosgien, blotti au fond de la vallée de la Vologne, tous savaient, mais tous se taisaient.
Elsa était une énigme. Elle fut bannie de notre communauté, il y a vingt-cinq ans.
Enfants, nous l’appelions « La Sorcière », mais nos parents l’avaient surnommée «La Chapelière du Yang-Tsé ».
Dix ans d’enquête m’ont transporté des bords de la Vologne jusqu’à Shanghai, sur les rives du Yang-Tsé-Kiang. Je poursuivais une ombre. Qui était Jean, cet amoureux que personne n’avait vu ?
Extrait du livre
— Tu sais, je ne guette plus le facteur, je sais qu’il ne reviendra pas. Bientôt, je serai morte, mais dis-lui que je ne lui en veux pas. Au contraire. Il est mon seul amour. Il a réalisé mon rêve. Moi, la petite fille qui gardait des chèvres dans la montagne, avec lui, je suis allée au bout du monde, j’ai vu les plus beaux couchers de soleil et j’ai navigué sur l’un des plus grands fleuves de la planète. C’est dans ses bras que je suis devenue femme et que j’ai passé les plus beaux moments de ma vie. Il m’a procuré un bonheur si intense qu’il suffit à ma vie. Dis-lui que là où je serai, je penserai encore à lui et je prierai pour lui. Ne lui parle pas de ma maladie, mais dis-lui que grâce à lui, je suis heureuse, que je rêve de lui tous les soirs et que j’ai gardé la peluche qu’il m’avait offerte. Tu sais, je ne regrette rien et si je pouvais recommencer ma vie, je voudrais qu’elle soit pareille… sauf peut-être que j’aurais aimé que Jean revienne me chercher. Tu sais, on dit que l’amour s’épuise au quotidien. Moi, j’ai eu la chance que le mien soit aujourd’hui aussi fort qu’au premier jour. Peut-être était-ce mieux ainsi. Jean est revenu habiter mes rêves, comme jadis dans la montagne. Tous les soirs, il me prend la main et nous nous promenons. Quand il m’embrasse, des milliers de papillons s’envolent et nous entourent. Tu vois, en réalité, il ne m’a jamais quittée.
J’avais bien du mal à retenir mes larmes et me disais que j’avais eu raison de ne rien dire à Jean. Elsa lui avait pardonné, de quel droit devrais-je la venger ?
— Shanghai a beaucoup changé, le petit hôtel n’existe plus, mais je suis allé manger du crabe poilu qui relève le Yang et j’ai remonté le fleuve en bateau. J’ai une amoureuse, Meï. Je lui parle souvent de toi et elle m’a chargé de te remettre ce petit cadeau.
— Je peux l’ouvrir ?
— Je t’en prie, j’ai autant hâte que toi de savoir ce que c’est.
Les mains d’Elsa tremblaient, elle avait du mal à ouvrir son cadeau.
Meï lui avait offert une boule à neige représentant un méandre du Yang- Tsé-Kiang entourant une rizière.
— Il est comme Jean me l’avait décrit, comme je l’ai toujours rêvé.
Une larme coulait sur sa joue. Je me rapprochai d’Elsa et, tendrement, je l’ai prise dans mes bras.
— Ne pleure pas, ma chère Elsa.
— Je ne pleure pas, ce ne sont que les embruns du fleuve.
— Un jour, tu iras là-bas. Je t’y amènerai. J’en fais le serment.
— Quand tu retourneras à Shanghai, remercie-la pour moi. Aime-la comme elle le mérite et donne-lui tout le bonheur du monde. La vie est si courte qu’on ne dit jamais assez « Je t’aime ». Il y a des gens qui traversent la vie sans connaître l’amour. Moi, j’ai eu la chance d’entendre les plus beaux « Je t’aime », ceux dont j’avais rêvé pendant toute mon enfance.
Aujourd’hui, je sais que celui ou celle qui accepte de brûler sa vie pour un tel mot d’amour est gagnant.
— Tu es quelqu’un d’exceptionnel, ma chère Elsa. Le temps passe si vite et je vais devoir rentrer, mais dans quelques jours, je reviendrai et je t’amènerai une orange, comme avant.
— Quand tu retourneras au village, dis-leur que je leur pardonne. Je m’en irai sans haine, en paix avec moi-même et pleine de mon amour pour Jean.
Je me retins de lui demander l’objet du pardon. Il me paraissait inutile de lui faire revivre ces moments douloureux qui avaient tant marqué sa vie.