Yelena

Chapitre XXXIII

L’atelier de Madame Martinez

La guerre avait apporté son lot de changements et d’incertitudes, mais Symine était déterminée à offrir à ses filles un avenir meilleur avec pour seules richesse, son amour, quelques poignées de souvenirs et des lueurs d’espoir. 

Au fil des jours, le domaine de Mazal devint un véritable foyer pour Symine et sa famille. Elles se familiarisaient avec les rues animées de la ville et les visages inconnus. Elles ne quittaient plus leurs cousines et leurs cousins qui les initiaient à tous les secrets de la ville blanche, leur  apprenaient à s’émanciper de leurs préjugés et leur apportaient une énergie nouvelle. 

Symyne aidée par Brillante, se consacrait chaque jour à l’installation du nouvel appartement en espérant réunir la famille avant les fêtes de Tichri, le premier mois de l’année juive qui était un des plus grands moment d’introspection du judaïsme.

Abdel, Moshé et Zineb s’adaptaient avec grâce à leur nouvelle vie en apportant tout leur dévouement et leur aide à l’entreprise de Mazal. Fanny et Alice attendaient fébrilement la rentrée scolaire d’octobre. Elles se réjouissaient de retrouver des visages déjà connus et de rencontrer de nouveaux amis. Rose avait fait part à ses cousines de son désir de travailler dans un atelier de broderie. Elle leur fit découvrir son talent inné cet art qu’elle maîtrisait en leur montrant ses créations. Elle espérait trouver un atelier où elle pourrait développer son art.  Grâce à l’aide de Mazal Rose fut engagée dans l’atelier de Madame Martinez, l’une de ses plus fidèles clientes du Marché Central, connue pour son travail de broderie irréprochable par la bourgeoisie casablancaise. Mazal et Jeannette Martinez potinaient souvent les matins de marché, Jeannette habitait au centre ville de Casablanca dans un appartement situé en haut de son atelier à proximité du marché, des Galeries Lafayette et à peine à quelques minutes du Boulevard de la Gare.

Elle avait demandé à rencontrer Rose et à examiner son travail. Mazal l’invita aux Roches Noires. Elle ne se fit pas prier. Les « patos »* ne refusaient jamais un bon repas. Ils se comportaient souvent comme des affamés capables de dévorer le contenu d’un buffet en quelques minutes. Cette attitude rendait Rose folle. Elle restait pourtant silencieuse en vertu de la bienséance qu’on lui avait enseignée, pourtant son regard dédaigneux en disait long sur le comportement de Madame Martinez. La rencontre s’était très bien passée. Jeannette Martinez était affable, charmante et gaie. Elle avait rapidement été séduite par la beauté discrète de Rose, plus encore par sa bienséance et son raffinement. Le travail de Rose l’avait impressionnée autant que l’avait impressionné sa maîtrise du point de Paris que Rose lui montra avec fierté. Jeannette voulut l’engager immédiatement, Mazal lui suggéra de signer d’abord un contrat de travail après le dessert. Jeannette ronchonna comme cela devait se faire, Mazal lui fit comprendre qu’il n’était pas question d’envisager une autre solution, comme cela devait se faire également. 

Après le café, Rose eut l’idée de présenter un de ses ouvrages en cours à la brodeuse qui fut impressionnée par la vitesse à laquelle Rose maniait les aiguilles et par la perfection du travail.  Jeannette se prêta aux exigences de Mazal sans discuter, offrit spontanément à Rose un salaire conséquent puis signa les papiers sous le regard inquisiteur de Mazal qui lui demandait d’ajouter et de retrancher les termes du contrat tout en soufflant à Jeannette :  » Tu vas voir, ton atelier deviendra célèbre, il sera connu dans tout le pays grâce au talent unique de ma nièce. Tu seras the place to be, believe me”.  Mazal ne se trompait pas. Les femmes de cette famille ne se trompaient jamais, elles étaient mues  par leurs intuitions, leurs passions et leurs énergies. Rose attira les clients, essentiellement les fabricants de caftans qui livraient le palais, toujours à la recherche de bons brodeurs. La demande était impérative et constante. l’Atelier Jeannette fut une aubaine, il devint selon la rumeur publique le brodeur du palais. Il arrivait que les dames d’atour se rendent chez Jeannette pour rencontrer Rose qu’elles auraient volontiers invitée à servir exclusivement la cour. Rose était régulièrement conviée au palais où elle n’était jamais allée car Mazal lui avait catégoriquement interdit de s’y rendre. “Je sais moi, ce qui s’y passe”. disait elle.

Berthold ne voyait pas tout cela d’un bon œil. Tous les soirs il attendait Rose devant l’atelier. Il l’accompagnait au cinéma ou au caveau de Jazz de l’oncle Bitton où se réunissaient les jeunes pour diner et danser. Rose ne dansait pas, ne buvait pas, ne riait pas à gorge déployée, elle parlait à voix basse, elle ne copinait pas et faisait toujours preuve de discrétion. Berthold était de la même veine. Alice, Fanny, Juliette et Anna racontaient qu’elles ne s’amusaient pas beaucoup en leur compagnie. Ils étaient trop sérieux, trop imprégnés de préjugés, trop prêcheurs de morale. 

Déjà on voyait se profiler dans ce couple un duo uni qui se suffisait à lui-même. Berthold qui avait été un enfant unique rêvait d’une grande famille de rires d’enfants, de joie et de bruit. Il avait déjà dans ses poches la liste des prénoms qu’il notait. Rose ne s’opposait jamais aux choix qui le rendraient heureux. Elle était davantage intéressée par un avenir confortable et cossu. Berthold l’écoutait. Elle était de bon conseil mais trop prudente pour lui qui était un fonceur qu’aucun défi n’arrêtait. Il finissait toujours par n’en faire qu’à sa tête. Pour l’instant il était préoccupé par son travail. La Sucrière lui proposait un poste bien rémunéré au sein de la direction avec des promesses d’avancements. Berthold n’en n’avait pas parlé à Rose. Il attendait le dénouement des offres qu’il avait faites pour le hangar et le local commercial de l’avenue Drude.

Slil

Patos en Espagnol désigne un canard et sa démarche « lourdaude. » terme utilisé pour désigner un « Français de France » par opposition à un pied noir né sur le sol d’Afrique du Nord.

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