Une fois par an, c’est la règle. Ce n’est pas un rendez-vous que j’attends avec impatience mais j’ai conscience que c’est une corvée qui reste un privilège…
Le problème de ma gynéco, c’est qu’elle parle tout le temps. En vous malaxant les seins, elle peste contre les problèmes de stationnement du centre-ville, en vous palpant le ventre, elle commente le réchauffement climatique et en vous faisant grimper sur la balance elle vous donne son avis sur le Napoléon de Ridley Scott.
L’autre jour, en plein frottis, elle relève la tête et m’adresse un clin d’œil complice (à ce stade du récit, vous n’êtes pas obligé de visualiser la scène en détail) :
— Au fait, vous saviez que maintenant, je propose aussi des injections ? Acide Hyaluronique ou Botox. Pour combler, remonter, lisser…. Pour donner un petit coup de frais quoi… ça agit bien aussi sur l’éclat.
Je suis, comme la plupart des femmes, raisonnablement soucieuse de la bonne santé de mon appareil génital, mais de là à me préoccuper de « son éclat », je suis perplexe.
Elle se met à rire (et ce faisant, je réalise qu’aucun muscle de son visage ne bouge) et désigne son front. Ce n’est pas à mon vagin qu’elle suggère de donner un petit coup de frais. C’est à mon front. Dans mon cas, le cou, le joues, il parait que ça va. En revanche, il paraît que « Beaucoup de femmes de notre âge » apprécient de « très légères retouches sur le haut des sourcils, pour lisser les petites rides d’expressions ».
Je dois m’y faire. Plus le temps passe et plus on me propose de remédier à ses effets, dans les dîners, dans les pharmacies, sur le net, dans les magazines, à la télévision et maintenant, même sur la table d’examen.
Je me demande juste si on suggèrerait à un homme, en plein examen de sa prostate de « faire un petit quelque chose » pour ses poches sous les yeux.
J’ai l’impression que, passé 40 ans, pour les femmes, le vieillissement est « LE » thème qui doit monopoliser toute leur attention. Et pour celles qui seraient tentées de se désintéresser du sujet, pas un jour sans qu’on ne voit passer sur les réseaux sociaux des articles nous présentant des femmes « modèles » inspirantes. Je crois qu’elles auraient décroché le prix Nobel de médecine, elles susciteraient moins d’enthousiasme.
Des acharnées du « Toujours jeune », qui nous filent des complexes ou qui nous font sourire, des chanteuses pop sans âge, en bas résilles, qui rejouent, inlassablement les chorégraphie de leurs débuts, des actrices gonflées comme un ballon d’hélium, qui n’ont pas cligné des yeux depuis 1996, des stars de nos jeunes années, qui exposent sur Instagram leurs formes toujours parfaites. Les photos sont suivies d’articles extatiques : Découvrez la « routine » de x pour garder sa silhouette de rêve. On y apprend que la fringante quinquagénaire adopte une alimentation équilibrée, à base de smoothies de fruits et de légumes dans lesquels elle rajoute des protéines en poudre ; on y découvre aussi qu’elle varie ses séances de sports quotidiennes de manière à toujours “surprendre ses muscles“ (alors que nous, on a plutôt envie de surprendre notre estomac).
Tout ça finit par bien plus m’exaspérer que m’inspirer.
A la rigueur, je comprends le concept des fameux « rôles modèles » à l’américaine pour les petites filles ou les jeunes filles.
Mais il me semble qu’un des rares privilèges de l’âge, c’est justement de pouvoir devenir son propre modèle. Loin des « il faut » ou « il ne faut plus », des « faites » et des « ne faites plus ». Loin des « Prenez exemple sur votre camarade ».
On a passé l’âge des leçons, des devoirs à la maison, des punitions et des évaluations. On ne sera jamais première de la classe et il est trop tard pour redoubler de toute façon.
Désormais, on n’a plus besoin de se comparer, de copier, on ne révise rien, on détermine notre propre niveau d’exigence, on s’autorise des fautes (de goûts), du too much ou du pas assez et le seul diplôme qu’on devrait viser, c’est un Master en rien-à-foutrisme.
Nathalie Bianco
