Les Jazzwomen

« Et les femmes dans le jazz ? Ah oui, les chanteuses ; non ? les pianistes alors – Mais non, les instrumentistes, les trompettistes et les saxophonistes, les trombonistes – Je n’en connais pas – Ecoutons en une – C’est pas mal pour une femme, mais… » Les préjugés sont tenaces, mais contiennent pourtant une part de vérité. 

Les premières femmes musiciennes étaient chanteuses et pianistes. Elles firent leurs classes dans les chorales de l’église ou y tenaient l’harmonium ou le piano.  Ce dernier instrument, à la mode dans les années 20, était étudié de façon classique par les respectables jeunes filles de la bourgeoisie noire. De nombreuses femmes deviendront pianistes professionnelles.  

Les femmes joueront un rôle important dans la carrière de leurs époux musiciens souvent autodidactes. Ainsi la pianiste Lil Hardin enseignera la lecture des partitions à son mari Louis Armstrong. Elle le persuadera à s’affranchir de la tutelle de King Oliver et à rejoindre à New York l’orchestre de Fletcher Henderson. Sans elle, Louis Armstrong, encore timide et peu sûr de lui, n’aurait jamais fait la carrière que l’on connait.  

Quelques musiciennes abandonneront leurs carrières pour se consacrer à celle du mari. La pianiste Marge Creath et sœur de Charlie, chef d’un célèbre orchestre de St. Louis, et épouse du grand batteur Zutty Singleton., prendra en mains les affaires de son mari, fera répéter ses orchestres et remplacera le pianiste lorsque celui-ci manque à l’appel. D’autres, non musiciennes, comme Gladys Hampton ou Lorraine Gillespie, sauront calmer les extravagances de leurs maris, respectivement Lionel Hampton et Dizzy (le cinglé) Gillespie.  

Dans les années vingt le monde du jazz est dominé par les hommes et peu d’instrumentistes peuvent s’exprimer en public ou enregistrer. Selon les témoignages des musiciens de l’époque, de nombreuses musiciennes de qualité sont écartées de la scène comme par exemple la saxophoniste-alto Irma Young, sœur du fameux Lester Young. Il faut attendre les années trente pour qu’enfin les musiciennes soient prises au sérieux. Néanmoins les prestations d’une femme ou celles d’un grand orchestre féminin restent une attraction.  

La seconde guerre mondiale modifie les rapports entre les deux sexes. La femme, par sa participation à l’effort de guerre a acquis une relative liberté et une indépendance financière. Elle n’est plus femme objet. Dans le domaine du spectacle avoir une belle frimousse ou de belles jambes ne sont plus des critères d’embauche. Les femmes peuvent diriger leur trio ou leur petite formation sans provoquer une moue moqueuse et des propos désobligeants. Les années 40 c’est aussi une révolution dans le jazz. Un nouveau style nait, le Bebop. Il est supposé être incopiable par les Blancs exploiteurs. 

L’une des rares adeptes à ce mouvement musical est la tromboniste et arrangeuse Melba Liston. Elle raconte comment, au début des années cinquante, un chef d’orchestre, peu convaincu par une musicienne, lui demanda avant de l’engager de jouer et d’improviser dans des tonalités difficiles comme Fa # majeur ou Do # majeur. Une femme se devait être meilleure qu’un homme. Cette barrière et ces préjugés disparaitront fin des années cinquante/ début des années soixante.  

Voici une courte liste des principales jazzwomen, sélection forcément subjective 

-Dolly Jones : remarquable cornettiste unanimement reconnue par ses pairs, n’a enregistré que deux titres dans l’orchestre d’Albert Wynn en 1926 (CD RST 1517).    

-Valaida Snow : trompettiste et chanteuse, inspirée comme Dolly Jones par Louis Armstrong (1935-1940 CD Harlequin HQ 12 & 18)                                                       

Les International Sweethearts of Rhythm, grand orchestre féminin, dont fit partie la musicienne qui suit (1944 LP Rosetta 1312)

-Clora Bryant : bonne trompettiste, qui a pris pour modèle Harry Edison (1957 CD VSOP 42) 

-Melba Liston : Tromboniste, compositrice, arrangeuse de style post bop (1958 CD Fresh Sound FSR 408)                                                                                                 

-Vi Redd : saxo-alto et soprano, vocal, le son de Charlie Parker et le phrasé bluesy d’Eddie Vinson (1962 CD Fresh sound FSR1671)                                                        

Toshiko Yakyoshi : pianiste, à ses débuts disciple de Bud Powell, puis chef d’orchestre (trio LP Storyville ou Real gone 4CD RGJCD513 et Fresh Sound, nombreux Big bands sous diver labels)                                                                          

-Alice McLeod-Coltrane: pianiste, épouse de John Coltrane, (nombreux disques sous le nom de son mari à partir de 1966)                                                                                

-Barbara Donald : trompettiste d’avant-garde dans un déluge de notes et d’incohérence du discours ( LP Cadence)                                                                     

-Carla Bley : Pianiste, compositrice, chef d’orchestre. Une musique écrite et débridée, un mélange de free jazz, tango, rythmes latins, bref à l’opposé du jazz noir

-Geri Allen : pianiste, compositrice, jazz contemporain (en trio 1989 CD MJT 834428) 

-Eliane Elias : remarquable pianiste et chanteuse. Malheureusement pour les amateurs de jazz, Elias n’exploite pas ses talents de grande pianiste, préférant interpréter pour les raisons vénales la musique de son pays natal, la Bossa Nova (sings  plays Bill Evans CD Blue Note 50999 S 11795)                                                              

-Mary Lou Williams : pianiste, compositrice, arrangeuse, inclassable par la diversité de son œuvre, elle reste la plus grande musicienne de jazz. Elle a suivi l’évolution du jazz, jouant dans le style stride en 1930, arrange pour Andy Kirk dont elle est la pianiste, puis pour Duke Ellington, côtoie Monk, Gillespie et assimile le be bop dès le début des années quarante, arrange pour Dizzy Gillespie, compose de la musique religieuse. Sa carrière est d’une richesse incroyable. (Elle n’a pas fait de mauvais disque. Dans le DVD M. L. Williams ’78, Norman Granz 302207, elle réussit l’exploit de vous enseigner l’arrangement en moins d’une minute.) 

Des jazzwomen, toutes d’excellentes techniciennes, peu sont des novatrices. Elles ont le plus souvent plagié le style de leurs collègues masculins, voire les copier. Rares sont celles, qui ont l’énergie et le feeling des grands jazzmen. Mary Lou Williams fut l’une des exceptions. 

Je vais me faire traiter de macho, mais j’assume  

Cole Porter

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