Ceux à qui on ne peut pas dire « N’aie pas peur, je te protégerai »

Le soir d’Halloween, on avait pour consigne de ne pas rentrer tout de suite. Il fallait attendre le signal. Une copine-anglaise- un-peu-fofolle, que les enfants adoraient, venait les garder. La maison se remplissait de cousins et de copains. 

Quand enfin on avait le droit d’ouvrir la porte, le couloir était plongé dans l’obscurité. On avançait doucement, on disait « Oh oh… mais qu’est ce qui se passe ici ? ». On faisait semblant de ne pas entendre les rires étouffés, les gloussements, les « chuuuuut » autoritaires des plus grands. Il y avait toujours un plus petit qui craquait et qui riait. On faisait comme si on n’avait rien saisi, on continuait à avancer et il fallait sursauter en découvrant la citrouille sculptée avec deux bougies à l’intérieur : « Oh mon dieu, qu’est-ce que c’est que ce truc horrible ? ». Normalement, à ce stade-là, une musique flippante était censée s’élever, mais une fois sur deux, l’appareil refusait de se mettre en marche au bon moment. Une année, au lieu de « Thriller », c’est une autre chanson de Michael Jackson qui a retentit et il a fallu beaucoup de persuasion pour consoler les enfants et les convaincre qu’on avait eu très peur quand même. Encore plus peur même, parce que des fantômes qui dansent sur « I just can’t stop loving you » c’est sacrément déroutant ! 

Enfin, la lumière se rallumait et des hordes de gamins barbouillés s’abattaient sur nous ; il fallait alors jouer le jeu, crier, faire semblant d’implorer et d’être terrorisés, pendant que les petites créatures menaçantes nous entouraient. Inquiète, je regardais les visages maquillés, tentant de deviner qui, de ces mini-zombies et de ces minuscules sorcières avait pioché dans MA trousse à maquillage, malgré mon interdiction formelle. Parfois, il me semblait reconnaître un vêtement que j’aurais aimé porter encore, un drap dont j’aurais pu faire usage, maculé de faux sang ou déchiré et je lançais des regards accusateurs à la copine-anglaise-un-peu fofolle. 

Le moment que je préférais, c’était quand ils en avaient marre de nous effrayer et que venait le temps des gâteaux et des sucreries. « N’empêche, vous nous avez bien eu dites donc… j’ai eu la trouille de ma vie ; regarde, j’en tremble encore ! ». Il y avait toujours un des petits qui s’approchait de moi, qui me prenait la main et qui me glissait à l’oreille : « T’inquiète pas, c’est pour de faux » et comme je faisais semblant de n’être pas tout à fait rassurée, il rajoutait « N’ai pas peur, ze te protégerai moi ». 

On aimait tellement ça, faire semblant d’être terrifié. Hurler. Jouer à être terrorisé. Trembler pour de faux. Les faux frissons, avant le vrai réconfort et les rires.

Ce soir, demain et tous les autres jours, j’ai le cœur serré en pensant à tous les enfants qui tremblent pour de vrais. Ceux qui sont otages, ceux qui pleurent loin de leurs parents, ceux qui sont tapis dans des tunnels ou ensevelis sous les bombes. Eux qui ne sont pour rien dans la folie et la haine des hommes et qui doivent affronter de vrais monstres. 

Ceux à qui on ne peut pas dire « N’aie pas peur, je te protégerai »

Nathalie Bianco

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