Mais l’Alsace, c’est quoi ?

PREMIERE PARTIE

Pierre Klein

La première identité de l’Alsace est géographique. L’Alsace est, ce qu’elle est, avant tout parce qu’elle est située là où elle est. L’Alsace n’est pas que l’extrémité orientale de la France, une fin de terre. Elle est aussi l’extrémité occidentale de la Mitteleuropa, de l’Europe centrale. Et c’est de cette situation géographique que découle l’essentiel de ses particularismes, qu’il s’agisse de langue, de culture, d’économie, d’écologie et de « transfrontalité » qui tous constituent un réel capital si on sait les reconnaître et les mettre en valeur. Ils constituent un vrai – plus – pour l’Alsace et pour la France tout entière ! 

L’autre identité de l’Alsace est historique. L’histoire de l’Alsace est faite de continuités et de ruptures. Cinq ruptures politico-historiques, qui n’ont pas été sans laisser leurs marques dans les consciences : 1648, début de l’annexion française ; 1870, annexion allemande ; 1918, retour à la France ; 1940, annexion allemande et 1944/45, retour à la France. Des générations ont été déchirées par les antagonismes nationaux, condamnées à servir aujourd’hui ce qu’elles devaient renier hier, et inversement, et toujours à refouler une part d’elles-mêmes. 

L’année 1940 marque à ne pas en douter la plus profonde rupture. Le national-socialisme est introduit en Alsace. Et les occupants allemands n’auront que faire de la démocratie et des droits humains, mais aussi des éléments français de l’identité alsacienne. Outre cette expérience paroxystique du nationalisme, les Alsaciens connaîtront aussi l’incorporation de force dans une armée au service de causes qui n’étaient évidemment pas les leurs. L’annexion par une mauvaise Allemagne, c’est un euphémisme, et l’incorporation de force seront à l’origine d’une véritable catastrophe identitaire. Elles provoqueront un anti-germanisme exacerbé et le rejet/refoulement d’une part de l’identité alsacienne, la part allemande. 

Sortir de la victimisation. Si l’Alsace a été le lieu malheureux des antagonismes nationaux français et allemand, elle a aussi été le lieu heureux où se sont rencontrées et fécondées deux grandes cultures européennes, la française et l’allemande. C’est dans leur confluence et leur synthèse que l’Alsace est véritablement alsacienne. Ce faisant l’identité alsacienne s’inscrit d’emblée dans le postnationalisme qui rejette tout ethnisme. L’Alsace n’a pas été victime de la langue allemande, c’est-à-dire d’une part d’elle-même. Elle a été victime du nazisme. Ce n’est pas la même chose. L’Alsace s’est longtemps nourrie à la langue et à la culture allemandes. Elle y a même apporté une contribution majeure. 

Résilience. Si l’Alsace a été annexée à l’Allemagne nazie, si cette annexion a occasionné un véritable traumatisme et si le post-traumatisme a consisté à rejeter tout caractère allemand de l’Alsace, le temps de la résilience, c’est-à-dire de celui du « Werde, der du bist », du deviens qui tu peux être, du libère-toi de tes inhibitions et refoulements, n’est-il pas venu, ne doit-il pas venir à l’heure de la réconciliation franco-allemande ?

PK

[1] La part de l’Alsace à la formation et au développement de la langue et de la culture allemandes a été de première importance : le premier poème en 870 (Das Evangelienbuch : Otfried), le premier fabuliste en 1180 (Gleissner), le chef-d’œuvre du Minnesang vers 1210 (Tristan und Isolde : Gottfried von Straβburg), la première charte en 1251 (premier document administratif à Lautenbach), les premières chroniques en 1362 (Fritsche Clossener et Twinger von Königshofen), le premier livre pour enfants en 1435 (Das heilige Namenbuch : Dankrotzheim), la première bible imprimée en 1466 (Johannes Mentelin), le livre le plus lu en Europe avant la bible de Luther en 1494 (Das Narrenschiff : Sebastian Brant), le premier livre de sciences médicales en 1497 (Hieronymus Brunschwig), la première encyclopédie médicale en 1518 (Spiegel der Artzney : Fries), le premier Schwankbuch en 1519 (Johannes Pauli), le premier roman vers 1557 (Der Goldfaden : Jörg Wickram), la première messe en 1524 à Strasbourg, un an avant Wittenberg, le premier Vitruvius, livre d’architecture en 1548 (Vitruvius Teutsch : Riff), le premier livre de grammaire en 1573 (Ölingen), le premier cycle de sonnets en 1575 (Johann Fischart), le premier Journal en 1605 (Relation : Carolus) par exemple en langue allemande sont alsaciens.

Partager cet article :

Facebook
Twitter
LinkedIn