Chapitre 51

Nous avons aimé 

Le Maroc c’était aussi eux Rose et Berthold, leurs familles et leurs amis. Ils n’étaient pas là en envahisseurs ou en touristes. Ils étaient là en travailleurs, en enfants, en familles. Ils n’avaient rien volé. Ils avaient bâti, avec les autres, maison après maison, route après route, saison après saison.

Leurs parents ont drainé les marécages, planté les vignes, soigné dans des hôpitaux qu’ils avaient construits de leurs mains. Ils n’étaient ni généraux, ni préfets. Ils étaient simplement des gens debout qui ont grandi dans cette lumière, ce soleil, ce mistral, ce sirocco qui n’avaient rien de commun avec la métropole. Ils parlaient français, leur langue maternelle, ils aimaient la France, mais ils avaient les pieds dans cette terre rouge, et elle collait à leur peau. 

Ils n’avaient pas été parachutés là. Ils y sont nés, ils y ont  aimé, enterré leurs morts, vu naître leurs enfants. L’école, les moissons, les jeux, les champs, le sable, la plage, les rires, le chagrin ou le désespoir, c’était leur vie. Simplement. Leurs vies n’étaient pas un régime, un système ou une idéologie. C’était une vie.

Une vie qui n’était ni un mensonge ni un crime, mais qui a laissé la mémoire d’un arrachement : la peur, les couteaux, le départ, l’exil. Ce ne sont pas des débats ou des conférences qui les ont fait partir. Ce sont les regards. Les crachats. Les menaces. Les couteaux sur le chemin de l’école. Les coups de feu dans la nuit. Les voisins d’hier devenus les juges de leurs destins.

Ils n’ont pas quitté le Maroc ils ne l’ont pas fui avec des valises bâclées, des enfants arrachés au sommeil, des morts derrière eux, parfois des morts dans leurs bras. Ils n’ont  pas vu des familles égorgées, des gendarmes pendus, des femmes violées, des enfants massacrés comme en Algérie, comme un 7 octobre.

Ils sont partis, tout doucement car comme en France aujourd’hui, on les poussait à partir. Ils sont partis parce comme comme aujourd’hui, la France avait négocié avec ceux qui les tuaient.

Ceux qui  les traitent encore aujourd’hui de « colons », de « voleurs de terre », n’ont jamais regardé dans les yeux d’un enfant pied-noir traqué comme un chien. Ils n’ont jamais vu une mère cacher un crucifix dans sa valise de peur d’être poignardée. Ils ne savent rien. Mais ils jugent. Comme aujourd’hui, la Mémoire est piétinée, ceux qui sont morts pour la France sont salis et les bourreaux sont glorifiés.

Aujourd’hui, on les somme de se taire. De baisser les yeux. De demander pardon pour ce qu’ils auraient été et qu’ils n’étaient pas, qu’ils auraient fait, et qu’ils n’ont pas fait. On parle encore de colonisation comme d’un crime absolu, et les pieds-noirs, sont encore traités de complices, de profiteurs, de sous-hommes.

Slil

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