Chapitre XLXI
Une rue pas comme les autres
Lors des visites, dominicales à la villa je m’attardais auprès des lapins du gardien, prisonniers d’une cage à l’odeur âcre et suffocante, dont présence me fascinait. Pendant que Surville comptabilisait les derniers détails à ajouter ou à retrancher, j’errais dans ce chantier poussiéreux et boueux.
Surville était un très bel homme, il était célibataire et habitait l’immeuble d’en face. C’était un grand blond, un peu Errol Flynn, un peu Garry Cooper, dont la mèche blonde qui tombait sur ses yeux bleus, m’impressionnait.
Laissant Surville faire les yeux doux à Rose qui ne l’ignorait, je grimpais courageusement à l’étage, où je trouvais un autre divertissement. Je ramassais la terre humide, destinée aux géraniums qui orneraient bientôt les fenêtres, et, avec application, je façonnais des boules que je lançais de plus en plus loin par la fenêtre, défiant mes propres limites dans un jeu solitaire. Ce rituel né de l’innocence, allait façonner ma manière d’affronter les obstacles au fil des années et de marcher toujours plus loin…. Toujours plus loin…
Un jour, l’une de ces sphères d’argile vint s’écraser sur le siège vide décapotable bleue, d’un voisin au tempérament singulier. L’individu pila net au milieu de la rue, bondit de son véhicule et se précipita pour sonner à notre porte en vociférant sans retenue. Son arrogance et le caractère ombrageux qu’il affichait, ce jour-là, le rendaient méprisable. Il se lamenta avec une théâtralité ridicule sur le sort du siège de sa voiture, touchée par une boule de terre. « Vous savez ce que coûte une voiture comme celle-là » disait-il en pointant son index sur un ton menaçant avec un accent détestable.
Rose, Berthold et Monsieur Surville tentèrent de l’apaiser par quelques excuses de circonstances. Mais face à son discours imbuvable, Rose l’éconduit poliment en maugréant quelques mots. En fermant la porte, elle lui rappela que la fautive n’était qu’une enfant.
Plus tard, j’appris que ce personnage dégoulinant de fatuité était originaire de Meknès, qu’il était une figure éminente du nationalisme marocain, et qu’il avait joué un rôle majeur dans la quête d’indépendance du Maroc. Au-delà de son poids historique, le petit bonhomme malingre, avait la réputation de brandir son statut de héros national, comme un étendard et cultivait une suffisance qui le rendait insupportable.
Il résidait dans le seul immeuble de la rue, une bâtisse art déco imposante, un lieu qui condensait à lui seul l’essence de la bourgeoisie casablancaise. Parmi les occupants, certains charmaient par leur courtoisie, d’autres affichaient une froideur hautaine, comme si le Sultan, était leur cousin. Ce fut ma première rencontre avec un voisin.
Les Mogadoriens, qui occupaient quelques appartements, reflétaient cette société distante, drapée d’une morgue qui ressemblait à celle de la série Netflix Dowtown Abbey.
Et ça vivait, ça pulsait. Une tolérance brute qui n’était plus policée, s’était imposée comme une évidence dans ce Maroc multiculturel d’après-guerre, où les populations se croisaient sans trop se poser de questions.
Slil