Chapitre XLI
La Houppa
A 18 heures, la houppa installée dans le patio du Riad était déjà noire de monde. Accompagné de Joseph, Berthold attendait Rose. Il portait un costume sombre, une chemise, un nœud papillon une kippa blancs, et un châle de prière de soie cadeau de Joseph qu’il portera toute sa vie. Rose apparue dans une robe droite en mousseline de soie assortie à des chaussures de satin. Sa taille était accentuée par une découpe ajustée, le col et les manches longues étaient bordées d’une collerette de soie. La robe longue se terminait par une traîne sobre et élégante.
Le visage de porcelaine de Rose, le bouquet d’arômes, les gants et le voile cathédrale en dentelle de chantilly, ajoutaient une dimension théâtrale à la scène qui provoqua les murmures d’admiration de l’assemblée.
Rose était accompagnée de toute sa famille. Mère belles mères, tantes, oncles frères, sœurs, cousins, cousines, amis, personnel, les voisins qui s’étaient faufilés, Ali l’épicier et Madame Martinez qui ajustait fébrilement la robe de mariée pour qu’aucun faux pli n’apparaisse. La petite Zineb toute fière dans sa robe de satin et de tulle jaune paille qu’on lui avait donné, était assise sur le sol, le plus près des mariés. Elle avait entendu dire que le Grand Architecte s’invitait sous la Houppa les jours sacrés de mariage et qu’il donnait sa bénédiction à tous ceux qui étaient présents.
Sous le dais nuptial les larmes discrètes de Symine, de Joseph et de Berthold firent pleurer Abdel, Moshe, Zineb et tous les romantiques pour lesquels le mariage représentait une alliance sacrée inébranlable et un amour éternel. Berthold osait à peine regarder Rose tant il avait le cœur chargé d’émotion. Seule Rose gardait la tête froide. Elle devait se demander combien tout ça avait couté et penser, » Pfft, qu’est-ce que ça ramène »?. Symine leva le voile de Rose pour que le rabbin de Mogador commence son office. Le rabbin invita ceux qui savaient chanter à le rejoindre comme cela se faisait, sans chichis et sans protocole. Berthold racontera que sous la Houpa, il avait demandé que tous ses rêves se réalisent. “J’avais demandé la paix, beaucoup d’amour, une vie sereine et confortable entourée d’un essaim d’enfants, beaucoup d’enfants, j’avais été si seul.” Ces mariages organisés chez soi étaient plus chaleureux, plus spontanés, moins pompeux et moins formels que les cérémonies de mariage majestueuses dans les synagogues d’aujourd’hui.
Le dais nuptial accueille le futur marié et le rabbin qui bénit le lieu puis le couple. Ensuite, il procède à l’échange des anneaux, la lecture de la Kétouba, (contrat de mariage religieux), la bénédiction du vin, puis le chant du verre brisé.
La Houppa signifie « protection. » On retrouve les premières mentions de la houppa dans l’Ancien Testament. Ce lieu qui rappelle une « tente », symbolise une maison ouverte à l’instar de la Houppa qui est ouverte sur les 4 côtés. Elle représente l’hospitalité, l’union et la lumière divine. La coutume veut que le couple qui s’unit puisse profiter de cet instant de splendeur et n’oublie jamais que son foyer doit refléter l’hospitalité. On dit que la cérémonie de mariage à lieu sous la présence et la protection divine.
La Kétouba, le contrat de mariage, rédigé en araméen, est à l’origine un décret rabbinique, sensé protéger les femmes en cas de divorce. Face à la facilité avec laquelle les hommes pouvaient divorcer, les décisionnaires ont instauré cette règle selon laquelle un homme ne peut épouser une femme sans lui garantir une compensation financière en cas de divorce.
Puis viennent les sept bénédictions, elles sont l’âme de la cérémonie. Chaque bénédiction est chantée ou prononcée par des membres de la famille. Ce sont des poésies qui glorifient l’amour, la fraternité, la fertilité et la prospérité. La lecture des 7 bénédictions se chante aussi avec la participation de l’assemblée, c’est un moment de joie qui invite les mariées et toute l’assemblée présente à partager les espoirs et les aspirations de chacun.
Le rituel du verre brisé est le moment le plus attendu. La cérémonie du verre est sans doute la cérémonie la plus mystique du mariage juif. Le verre évoque la fragilité de la vie mais aussi la destruction du Temple de Jérusalem en rappelant que même dans les moments d’allégresse, il ne faut jamais oublier les tragédies du peuple juif et de l’humanité. La cérémonie du verre brisé illustre aussi l’écheveau qui relie le bonheur à la mémoire dans la culture juive.
Enfin, après la cérémonie du mariage, les chants, les bénédictions, les youyous, les larmes et les joies, le “Yihoud”, ( isolement), offre au couple un moment d’intimité, de réflexion et de communion. Les mariés peuvent, s’ils acceptent la tradition, s’isoler dans une pièce mise à leur disposition pour leur permettre de respirer et de prendre conscience de la profondeur de leur lien, ou rejoindre leurs invités. Dans ce cas Berthold entraina Rose dans leur chambre du Riad pour un instant de tendresse avant d’aborder la meute.
Après le strict respect de la cérémonie qui n’est pas un exercice austère mais un moment d’émotion et de joie intenses, la fête peut commencer. Les mogadoriens étaient loin de la fièvre du samedi soir. Leurs gestes, leurs tenues, leurs attitudes, leurs gloussements, tout était sous contrôle. La règle d’or impitoyable voulait que « l’on ne se donne jamais en spectacle. »
Rose racontera plus tard, combien la présence de Jeannette Martinez avait été épuisante : « Depuis le matin jusqu’au moment de la Houppa : » Je lui appartenais, elle était mon pygmalion et voulait que tout le monde le sache. Personne n’avait le droit de m’approcher. Son attitude faisait rire toute l’assemblée présente au Riad. Les moqueries allaient bon train, mais Jeannette ne comprenait rien au langage bizarre de ces mogadoriens dont elle découvrait les usages, et qu’elle trouvait un chouïa chichiteux, hautains, guindés, coincés et fidèles à leur réputation.
Slil