Chapitre XXXIX
La robe de mariée de Rose
Rose était dans la cuisine où elle aimait prendre son petit déjeuner. Elle aimait l’ambiance de ces cuisines spacieuses éclairées par une grande fenêtre qui s’ouvrait sur un jardin ou une cour toujours ensoleillés, laissant entrer la lumière naturelle. Elle aimait le papier peint à motifs géometriques et le nouveau petit réfrigérateur blanc à une porte. Elle aimait les couleurs jaune beurre et le rose pâle des meubles qui apportaient une touche de fraicheur et de gaité malgré ces temps difficiles.
Toute la famille et les amis intimes avaient mis la main à la pâte pour rénover cette vieille cuisine. David avait offert une cuisinière à gaz à 4 brûleurs, Mazal avait fourni l’installation électrique et les deux grandes lampes blanches pour l’éclairage du plafond, les autres avaient fait des cagnottes pour offrir les meubles. C’est ainsi que les familles et les amis s’entraidaient. L’entraide était un geste quasi naturel qui faisait partie des valeurs intrinsèques et du mode de vie de cette époque.
Rose se prélassait derrière la fenêtre en buvant son thé à la menthe bouillant par petites gorgées dans cette cuisine qui, disait-elle, sentait « le bon ». Symine en profita pour lui parler de sa robe de mariée autour d’un verre de thé.
– Rose, le temps passe et nous n’avons même pas parlé de ta robe de mariée. Il faut que tu me dises ce que tu souhaites assez tôt ! Il faut trouver du tissu, du voile, une couronne, des chaussures! Je te trouve bien nonchalante! Que t’arrive-t-il ?
– Ne t’inquiète pas ma mère, j’attendais d’être sûre pour te faire la surprise…Mme…
– Une surprise ?! Quelle surprise ?! Tu ne veux plus te marier ? Ce n’est pas grave, ce n’est pas la fin du monde ! Dis moi ?
– Ma mère ! Calme toi ! tu sembles très fatiguée en ce moment. Toute la famille l’a remarqué. Tu devrais aller à Mogador, toute seule, pour te reposer et pour te faire dorloter chez Joseph.
– Je le ferai. Mais raconte moi cette surprise ?!
– Pour mon mariage, Madame Martinez voudrait m’offrir la robe de mariée et les accessoires. Elle ne voudrait pas que ça t’offense et m’a demandé d’attendre un peu avant de te l’annoncer.
Symine eut du mal à cacher sa joie. Elle était à bout de force. Cette nouvelle lui arrachait une épine du pied.
– Pourquoi Jeannette Martinez parle-t-elle d’offense ?
– Elle a pensé que cela te priverait de la joie des essayages et de la confection de la robe que nous aurions recherchée ensemble selon la tradition ?
– C’est juste je me faisais une joie de vivre cet instant rare de marier ma première fille. Mais la proposition de Jeannette est très généreuse, elle me va droit au cœur. Tu pourras lui dire que son geste me touche et que je l’accepte avec joie. Est-ce que tu sais déjà comment sera la robe? Elle sera à ton goût ? Comme tu la désires ? Tu lui as dit que tu aimerais une robe rose poudrée ? Elle acceptera ?
– Ne t’inquiète de rien ma mère. Dès que les premiers essayages commenceront tu viendras me donner ton avis. Je suis très contente. Ce cadeau est le bienvenu, il t’évitera de courir au petit matin pour faire des queues interminables et de t’épuiser comme tu l’as fait pour nos fiançailles en voulant faire plaisir à chaque personne de la famille. J’ai même déjà choisi mes demoiselles d’honneur !
– J’espère que tu as pensé à tes sœurs et à tes cousines les filles de Brillante !
– Oui ! Nous avons tout organisé ensemble. Ma tante Brillante m’a dit qu’elle se chargera des robes des demoiselles d’honneur avec toi. Quelqu’un pourrait même nous rapporter des robes prêtes à porter de France. Peut-être mon cousin Armand si ce n’est pas trop risqué.
Symine se fâcha en entendant prononcer le nom du cousin Armand.
– Mais qui a décidé d’un départ d’Armand !? Avez-vous perdu la tête ? Vous voulez sa mort ! êtes-vous conscientes de ce qui se passe en France !!!
– Nous n’avons rien demandé, ni décidé, c’est Armand qui a eu cette idée.
– Et bien il peut immédiatement renoncer à cette idée avant que je le dise à ses parents ! Stupid idot indeed ! indeed ! M’zièèène !
– Ne fais pas attention à lui, ma mère ne t’inquiète pas, personne ne partira. Madame Martinez pourra elle-même s’occuper de commander ces robes. Le prêt à porter ne coûte pas cher et vous facilitera la vie. Il faut que je parte, je n’aime pas être en retard. Rose embrassa furtivement sa mère et disparut laissant Symine à ses réflexions.
– Il faut que je parle avec Brillante, Mazal et David pour voir ce qu’Armand a dans la tête pensait-t-elle à voix basse.
– Pourquoi ton visage est froissé lui demanda Zineb, qui venait débarrasser la cuisine.
– Children, ma fille, children… Les enfants grandissent.
Slil