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Yelena

Chapitre XII

Scones et mesemen*

Au milieu du chaos et de l’incertitude et sous les rafales de youyous les invités arrivaient petit à petit, à pied en calèche ou en “Citroën Traction”, apportant avec eux leurs sourires et leurs félicitations. Parmi les invités, se trouvait la famille de Symine, et sa  kyrielle de sœurs, toutes des personnages avant-gardistes qui avaient brisé les conventions de leur époque et ouvert la voie à de nouvelles libertés pour les femmes. Elles étaient six sœurs émancipées et courageuses, toutes des prércurseuses de Rosa Parks, de Grace Hopper ou de Malala Yousafzai.

Outre la famille, les invités de Joseph et de Berthold reflétaient la diversité culturelle du Maroc de cette époque. Il y avait là des Marocains, des Français dont Monsieur Olivry le directeur de la Cie sucrière Marocaine, un “français du Maroc”, qui parlait parfaitement l’arabe contrairement aux “français de France”, des patas largas importés, qui n’étaient pas nés au Maroc. Il y avait encore quelques notables de Mogador amis de Joseph, des Américains, quelques Britanniques et des réfugiés juifs d’Europe centrale.  

Les femmes étaient toutes d’une élégance à couper le souffle dans leurs robes mi-longues de satin ou de dentelle qui soulignaient leur taille, leur féminité et leur grâce. Souvent elles ornaient leurs vêtements de détails délicats, de broderies, de paillettes ou de perles qu’elles cousaient elles-mêmes pour ajouter une touche glamour à leurs vêtements d’avant guerre. Elles étaient belles à regarder avec leurs colliers de perles et leurs boucles d’oreilles en cristal. Eté comme hiver, elles ne sortaient jamais sans leur gants de soie, leurs chapeaux ou leurs bandeaux  qui habillaient leur coiffure toujours impeccable. Elles portaient des petits sacs à main, souvent des pochettes ou des minaudières assorties à leurs escarpins de satin ou de verni noir. Elles étaient sexy, désirables et s’identifiaient par leur attitudes à Ingrid Bergman ou Lauren Bacall, Viviane Romance ou Michèle Morgan, les sex symbol de l’époque.  

Symine avait conservé le thème rose et vert layette pour décorer les buffets. L’appartement était embaumé par des centaines de fleurs envoyées par la famille, les invités, les voisins, les commerçants et les amis. Abdel, Zineb, Moshé, les employés de Joseph, étaient au garde- à-vous, prêts à intervenir au moindre regard de Symine. Elle avait préparé un afternoon tea et un buffet marocain. Comme à l’ordinaire, ce n’était jamais assez, il fallait en rajouter, toujours en rajouter… Les traditions se fichaient de la guerre… Du coté anglais les scones tièdes avec de la confiture de fraises, de la confiture d’orange, de la crème fouettée, des sandwiches et du thé noir Darjeeling.  Du côté marocain, le thé à la menthe, les msemmen au miel et au zit argan*, les salades marocaines variées et des gâteaux traditionnels à base de miel de dattes et d’amandes. Dans la cuisine tout était prêt pour accueillir la famille proche également prévue pour le dîner.

Dans un coin de l’appartement, l’orchestre invité par Joseph, jouait doucement, la célèbre chanson « As Time Goes By » fredonnée par un des musiciens, rappelant à tous la préciosité du temps et la valeur de chaque moment. Les amoureux étaient au centre de l’attention. Leurs proches leur offraient des cadeaux symboliques en exprimant leur soutien et leur certitude que l’amour triomphe toujours, même en temps de guerre. Pourtant, au milieu de cette atmosphère de célébration, les préoccupations subsistaient. Les conversations étaient animées, teintées d’une certaine appréhension car tous étaient conscients du danger omniprésent qui pesait sur eux. Les nouvelles sur la guerre circulaient et tout le monde savait que les tensions montaient. Des murmures s’échappaient sur l’éventuelle évasion de réfugiés vers Lisbonne, on disait même que des visas pour l’Amérique pourraient être obtenus.  

Après avoir rempli leurs obligations, Berthold entraîna Rose vers le boudoir qui leur était réservé. Enfin seuls et la porte bien fermée cette fois, Berthold put serrer Rose dans ses bras et lui donner enfin le baiser dont il avait tant rêvé. Ils entendaient les convives se féliciter, porter des toasts, des souhaits de bonheur pour le couple, lever leurs verres au rythme des Mazal Tov et des youyous de Zineb et Fatna.   

Sur la terrasse, on pouvait voir le soleil se coucher sous l’horizon, sur une mer d’huile qui touchait le ciel aux couleurs fascinantes des fins de journées de Mogador. Symine entraîna ses convives à boire un dernier verre alors que le soleil se trempait lentement dans l’océan pour marquer la fin des festivités. En rentrant chez eux, les invités étaient à nouveau confrontés à l’incertitude de l’avenir, mais cette demande en mariage en pleine guerre restera un souvenir précieux de l’amour et du bien être qui ont persisté dans l’obscurité de cette époque à Mogador en 1942.

Slil

mesemen : crêpes marocaines- zit argan : huile d’arganier

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