Les 75 ans d’Israël

Israël vient de fêter les 75 ans de sa renaissance, le moment de faire un bilan économique, alors que le pays traverse une grave crise politico-sociétale.

Après deux décennies laborieuses, le pays a connu un essor exceptionnel avec la victoire de la guerre des Six jours. Mais cet élan fut brisé à la suite de la guerre surprise du Kippour au cours de laquelle le sort du pays s’est joué. S’en suivirent les dures années quatre-vingts avec la 1ère guerre du Liban, la 1ère intifada, les déficits des comptes publics et extérieurs, l’inflation à deux ou trois chiffres, l’effondrement de la livre israélienne remplacée par le nouveau shekel… au point qu’une des blagues de cette décennie était de comparer l’économie israélienne au café, soit « bozz » (« boue » ou « marc » par référence au café turc), soit « ness » de nescafé, miracle.

La décennie 90 a marqué un virage radical et l’écosystème israélien de l’innovation est devenu l’un des plus attractifs, denses et productifs de la planète :

  • N’étant pas un grand producteur susceptible d’être fragilisé par la mondialisation, Israël a misé sur l’ouverture du pays et a bénéficié de l’accélération des échanges internationaux
  • La chute de l’Union soviétique a entraîné l’arrivée en quelques années de plus d’un million de personnes, ce qui a changé la dimension et la nature du pays. Depuis 1990, la population israélienne a quasiment doublé en passant de 5 à 9,6 millions d’habitants. Avec seulement 21 000 km², la densité s’accroît et impose un nouvel aménagement du territoire et des mobilités.

Cette nouvelle force de travail hautement qualifiée a donné une impulsion à l’économie israélienne car il a fallu nourrir et loger ces nouveaux immigrants et leur proposer des emplois. Cela a entraîné un bond de la construction immobilière, notamment de l’habitat vertical pour contrecarrer des disponibilités foncières limitées. Depuis la construction en 1996 des trois tours AZRIELI les tours n’ont cessé de pousser faisant de Tel Aviv une petite New York ; mais le foisonnement des tours ne se limite pas à Tel Aviv.

  • Avec l’avènement d’internet, Israël est devenu un acteur majeur de la High Tech « la Start up nation » est désormais une « Start-up nation » avec 8 000 start-ups actives, 300 accélérateurs, 200 fonds de capitaux risques, 350 centres de R&D de multinationales…

L’achat en 2017 de Mobileye par Intel, pour 15,3 Md$, symbolise le succès de la high tech israélienne salué par de nombreux indicateurs :

  •  Au NASDAQ, Israël est le 3ème pays après les Etats-Unis et la Chine
  • Israël est le premier pays par le nombre de start up par habitant
  • Les recherches israéliennes sont régulièrement saluées par des prix Nobel
  • Au premier rang par les publications scientifiques et brevets par habitant, Israël consacre près de 5 % de son PIB à la recherche et au développement

En mettant un terme à l’isolement économique du pays et en favorisant une intégration régionale et une ouverture des relations économiques avec ses voisins, les Accords d’Oslo en 1993 et la signature du traité de paix avec la Jordanie en 1994 ont stimulé l’économie israélienne jusqu’en 2000 et la 2nde intifada.

Cette décennie a été également marqué le début d’une augmentation des exportations israéliennes vers l’Asie et des investissements étrangers en Israël.

Néanmoins, le fonctionnement de ce secteur démontre la faiblesse du capitalisme israélien qui n’est pas en mesure de relever le défi lancé par le foisonnement des starts up à la recherche de capitaux.

L’entrée d’Israël à l’OCDE en 2010 a consacré ses succès économiques :  

  • Un PIB multiplié par 4 en 30 ans, augmentation des réserves de change avec la revalorisation du shekel ; maîtrise des finances publiques malgré un effort de guerre de 6 à 8 % du PIB…
  • Une faible pression fiscale avec un taux moyen de 32 %, de deux points inférieur à la moyenne des 38 membres de l’OCDE
  • Selon l’indice de développement humain (IDH) des Nations-Unies, Israël est au 22ème rang, juste derrière les États-Unis mais devant la France à la 28ème place.

Ce chemin a été parcouru malgré le climat d’insécurité : les 4 ans de la 2ème intifada, la 2ème guerre avec le Liban en 2006, les campagnes de tirs de missiles depuis la prise de pouvoir du HAMAS à Gaza en 2007…

Selon l’hebdomadaire britannique The Economist, Israël est la quatrième économie la plus performante en 2022 des pays de l’OCDE ; Israël partage la 4ème place avec l’Espagne et se classe après l’Irlande parmi les 34 pays riches de l’Organisation.

Signe du dynamisme de l’activité économique, les exportations israéliennes ont atteint un nouveau record en 2022 avec plus de 160 Md$ et représentent près de 30 % du PIB. Les exportations de services, y compris les services technologiques israéliens tels que les logiciels et diverses solutions de recherche et développement (R&D), ont dépassé les exportations de marchandises pour la deuxième année consécutive. Les services de programmation et de R&D sont en tête de la liste des services les plus exportés, avec respectivement 42 % et 14 %.

La signature des Accord d’Abraham avec les Émirats arabes unis (EAU), le Maroc, le Soudan et Bahreïn offre de nouvelles opportunités d’investissement et de financement pour Israël.

Aujourd’hui, Israël a une économie diversifiée, résiliente et fortement intégrée au commerce mondial, avec une présence significative dans de nombreux secteurs : une agriculture performante assurant à 95 % l’autosuffisance du pays, l’agro-alimentaire présent à l’international avec ses produits et savoirs faire, les produits chimiques, les équipements de transport, la taille du diamant qui fait d’Israël un des plus importants centres du monde, les équipements militaires électroniques.

Après une gestion stricte de la pandémie, les perspectives économiques sont positives, grâce à des déficit et dette publics maitrisés, à la manne gazière, à une culture du risque, au rôle formateur de l’armée, à un écosystème qui favorise les transferts de technologie des centres de recherche vers l’industrie.

Néanmoins, le nouveau gouvernement devrait éviter de fracturer la société israélienne et s’attaquer aux problèmes de la société : réduction des inégalités accentuées avec les salaires de la High Tech qui alimentent la hausse de l’immobilier, lutte contre l’inflation qui passe notamment par le démantèlement des monopoles, dépendance vis-à-vis des financements étrangers, développement des infrastructures ferroviaires, des transports collectifs dans les villes, rénovation des structures sanitaires et éducatives, lutte contre la pollution plastique et la pollution de l’air…

Au-delà des enjeux internes, n’oublions pas les menaces qui entourent Israël :

1. Le Hamas à partir de Gaza, avec l’envoi régulier de roquettes et de missiles, sans sous-estimer l’agitation entretenue dans les territoires et même en Israël, comme on a pu le voir lors des émeutes de mai 2021 dans les villes de Lod, Jaffa et Ramla.

2. La menace du Hezbollah au nord, avec ses dizaines de milliers de missiles. À la différence du Hamas, le Hezbollah ne s’aventure pas dans des « rounds » réguliers de confrontation avec Israël ; il n’est pas prêt à prendre le risque d’une campagne de bombardements semblable à celle de l’été 2006, qui a profondément marqué le Liban, ses infrastructures et sa population. Par ailleurs, toute initiative du Hezbollah à partir du Liban serait de nature à remettre en cause l’accord israélo-libanais sur la frontière maritime entre les deux pays et le bénéfice du pactole des hydrocarbures. Ne négligeons pas enfin la réaction des Libanais qui n’apprécient pas la mainmise du Hezbollah sur le pays, les effets collatéraux de ses initiatives ou les conséquences de l’explosion d’août 2020 dans un entrepôt du port de Beyrouth… Même si la situation économique catastrophique du pays du Cèdre réduit les marges de manœuvre belliqueuses du Hezbollah, Israël est obligé de compter avec son arsenal et le risque de son utilisation par son parrain iranien.

3. Le front le plus actif est la Syrie, où les Iraniens cherchent à développer et à consolider leur présence. Cela conduit l’armée israélienne à bombarder régulièrement les sites iraniens ; elle peut le faire avec l’accord tacite de la Russie, qui cherche à contenir les prétentions iraniennes sur la Syrie. Cette posture russe explique l’implication discrète d’Israël dans le conflit en Ukraine et le refus de Jérusalem de livrer des drones ou autres matériels militaires à Kiev. Ce double jeu de Poutine permet de comprendre qu’il ait salué la victoire et le retour de Netanyahou au pouvoir.

4. La dernière menace, mais la plus dangereuse, est la volonté de la  “mollahcratie” iranienne de détenir l’arme nucléaire.

Le projet de réforme de la justice divise profondément le pays qui traverse une grave crise politique et sociétale. De la même façon que le Juif est en perpétuelle réflexion sur son identité, l’israélien s’interroge sur la sienne ; les débats opposent l’israëlianisme et le judaïsme et dénotent une nouvelle étape post-sioniste.

Dov Zerah 

Ancien élève de l’Ecole Nationale d’Administration (1980, promotion “Voltaire”). Ancien Directeur des Monnaies et Médailles en 2002.  Conseiller maître à la Cour des Comptes en 2007.

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