En 1962, aux missions africaines, à Haguenau en Alsace, il y avait encore une école très austère, réputée pour la sévérité et l’enseignement très rigoureux des pères missionnaires.
Il y avait aussi une tradition pour la Saint-Nicolas : On valorisait les bons élèves et on punissait les mauvais élèves.
Avant d’aller chercher les sapins de Noël, le 1er jeudi des 4 semaines de l’Avent, les élèves de 6ème et 5ème, arpentaient la forêt privée de la mission, à la recherche de branches de sapins et de branches de houx, destinées aux décors.
Le jour de la Saint Nicolas à midi, le repas de fête était préparé dans le grand réfectoire. Tous les élèves étaient conviés à festoyer pour la Saint-Nicolas et pour l’arrivée de Noël, et à confectionner les décors de Noël pour les différents bâtiments de la mission.
Nous redoutions l’arrivée du père Fouettard dit le « Hans Trapp’’, chargé de la lecture du registre des bons élèves et des mauvais élèves. Les bons élèves étaient appelés à la table des pères et recevaient un missel et un chapelet. Les mauvais étaient appelés à monter sur l’estrade devant le la chaise du prieur, pour subir la cruelle sentence physique et morale habituelle.
Lors de mon arrivée, les anciens élèves racontaient les corrections infligées aux enfants. Les jeunes pères nous menaçaient toujours de nous noter dans le registre de la Saint-Nicolas.
Robert Gantner était un élève très turbulent. J’étais souvent puni avec lui au dortoir des petits. Robert, comme moi, étions les souffres douleurs d’un jeune père missionnaire qu’on avait surnommé ‘’ Roquépine ‘’, du nom de la célèbre jument de trot qui gagnait presque toutes les courses dans les années 60.
Les parents de Robert avaient une très grosse épicerie -mercerie-quincaillerie à Hatten – Outre-forêt. Robert bénéficiait de toutes sortes de privilèges, car son père fournissait une grande partie des produits destinés aux cuisines de la mission.
La sœur Marie-Thérèse, le protégeait et lui accordait des passe-droits comme des tablettes de chocolat noir « Poulain », une monnaie d’échange et de tranquillité extrêmement prècieuse dans cet environement cruel pour des enfants espiègles et agités, sous la menace constante de châtiments corporels.
Le matin du 6 décembre 1962, après le petit-déjeuner, Robert était au garde-manger. En classe, il me passait un mot, me demandant de le retrouver à l’économat à la récréation. Là, il me donnait un protège fessier en carton, confectionné par les sœurs et une grosse chaussette en molleton matelassée.
J’en profitais pour lui dire que j’avais appris au petit-déjeuner que nous étions sur le registre du Hans-Trapp. Voyant mon inquiétude il me dit : «T’inquiète pas, sœur Marie-Thérèse, nous a confectionné une parade à la manière de ‘’Poil de Carotte ‘’.
Nous portions ces protections entre nos slips et nos pantalons de velours côtelé. Nous serrions très fort la ceinture en rabattant nos blouses, puis nous nous dirigions vers le réfectoire pour le déjeuner de gala de la Saint-Nicolas.
Les festivités commençaient par la lecture du registre de la Saint-Nicolas. Les bons élèves furent appelés et félicités par Saint-Nicolas, puis on passait à la lecture des mauvais éléments, et à la description des incidents dus à leurs mauvaises conduites.
A la fin de cette lecture, on procédait d’abord à l’appel des élèves qui avaient eu des avertissements devant les pères et le Saint-Nicolas qui les sermonnaient.
Soudain, le grognement terrifiant du Hans Trapp se faisait entendre. Sur l’estrade, il aboyait de sa grosse voix les noms des mauvais élèves. 5 noms résonnaient dans le réfectoire, dont celui de Robert et le mien.
A l’annonce de mon nom, mon sang se glaça. 70 ans plus tard, J’en porte encore le souvenir.
Au cours de la cérémonie du châtiment, nous étions appelés pour monter sur l’estrade. Il fallait poser nos mains sur le haut de la chaise du prieur, et nous positionner pour recevoir les 4 coups de baguette de saule sur nos fessiers. Ces quatre coups correspondaient aux 4 mois passés, aux 4 semaines de l’Avent, supposés nous inciter à méditer sur notre comportement.
J’étais la première victime. Je me souviens que je me mettais en position de torture en tremblotant. Je regardais le sol envahi d’un sentiment de honte. J’aurais souhaité être une petite souris. J’entendais les remontrances et le verdict : 4 coups de baguette de saule. Le père Fouettard, Hans-Trapp, ne faisait pas semblant, et malgré la protection, je sentais les coups.
Mes yeux d’enfant retenaient leurs larmes, je restais silencieux malgré les coups et la douleur. Mais quittant l’estrade je disais à haute voix au Hans-Trapp : «Même, pas mal, merci ! ».
Le Hans-Trapp répondait : « Graine d’échafaud » !
Depuis, je n’aime plus cette période.
Joyeux Noël
Marcello le barde du Torchis