Les nouveaux misérables (suite)

Le bouquet final

Chapitre XXVII

« Ma vie s’épuise dans la douleur, et mes années dans les soupirs; ma force faiblit à cause de ma faute, et mes os dépérissent ». (Psaumes 31) 

Le bouquet final de Grabat fut cette insulte qu’il brandissait comme un compliment : « Je me suis battu avec moi-même, pour ne pas me coller à toi, j’ai gardé pour chaque femme une affection particulière, et je t’ai gardé une place dans mon âme. »

Avant même qu’il ne finisse sa phrase, Ovate lui coupa la parole : « Je ne suis pas toutes les femmes, et on ne me garde pas une place, on me garde toute la place !  » Tu chantes faux en paroles et en sentiments. Ton dossier Ovate est pollué. C’est un amoncellement d’écritures faites de mauvaises tentatives de corrections qui n’aboutissent jamais. Mon dossier Ovate est protégé par une sorte d’ARN Messager. Je suis une pierre précieuse, je porte et je diffuse la lumière d’un diamant flawless  que personne ne pourra jamais briser. Je suis rare, j’ai pour mission de ramener la joie, la paix et l’amour. Il ne fait pas bon vivre avec la médiocrité. Il faut oublier cette histoire d’amour qui n’a jamais existé  » .

Quelques mois auparavant, Grabat lui avait demandé de lui pardonner d’avoir déchiqueté son amitié. “Je ne veux rien pardonner», répondait Ovate. «Je ne pardonne pas à ceux qui m’ont blessée ou qui ont tenté de le faire. Je tourne les talons vers d’autres chemins et j’oublie instantanément et définitivement les excréments de la terre*. C’est la clé de ma force,  je ne consens à personne le droit de contrôler mes émotions, ou de posséder mon âme. Tous ceux qui ont tenté de s’immiscer entre moi et moi, se sont cassés le nez.

Un jour, il était une fois, ils m’avaient tant blessée… je les ai rayés de ma vie, je ne me suis plus retournée et j’ai joui de leurs larmes de sang. Je leur avais donné jusqu’à mon souffle de vie pour qu’ils respirent mieux que moi-même ».   

Slil, toujours dans les parages, entamait le rythme langoureux de la danse du Padam. Comme les femmes de Tanjore dans le Sud de l’Inde, elle purifiait l’espace, chassait l’esprit de Grabat par des incantations et des rituels en proclamant : « Je crie à la victoire d’Ovate sur le machisme, la misogynie, le phallocentrisme. Vive toi qui n’est pas tombée dans le piège de ce faux amour, ni dans le piège de la pouillerie des réseaux sociaux » !

Quelques années plus tard, Ovate apprit que Grabat avait été placé par sa famille dans une maison de retraite où sa présence posait de sérieuses difficultés à l’ensemble du personnel féminin. Plusieurs fois par jour, au cours des ateliers, des pauses, des promenades ou des repas, les vigiles étaient appelés d’urgence pour calmer les ardeurs de Grabat qui harcelait tout ce qui ressemblait à une femme, jusqu’aux bonnes sœurs qui se plaignaient de sa conduite irrévérencieuse à tous égards. Une pétition avait fait l’objet d’une note particulière mentionnant une attitude anormale et dangereuse, et demandant le renvoi de Grabat avec effet immédiat.

Malgré les nombreuses tentatives de sa famille qui ne désirait plus le garder, aucune institution n’acceptait d’accueillir Grabat. Grabat dû passer devant plusieurs commissions de psychiatres sur la demande de sa famille qui tentait un dernier recours dans l’espoir qu’une ou l’autre institution accepterait de le prendre en charge. Mais tous les rapports de Psychiatres conseillaient à la famille de placer Grabat dans un service de soins psychiatriques spécialisé en addiction sexuelle pouvant entrainer des crises de violence sur autrui. Face aux suppliques de Grabat, qui  implorait sa famille de le laisser rejoindre son grenier, la famille fut contrainte de le reprendre.  

Aujourd’hui, on peut voir Grabat errer péniblement dans le parc central de Cythère s’aidant d’une canne ou assis sur un banc, seul, perdu et abandonné. La Thénardier le laissa croupir dans son grenier comme un chien dans sa niche. Elle racontait sa piètre victoire : “ Il a enfin baissé l’échine, Il me mange dans la main ».  Il n’avait plus d’yeux, il n’avait plus d’ordinateur, et Grabat a pleuré d’avoir enfreint toute sa vie les règles incontournables.  

De ce mythe du Grand Amour absolu, il ne restait à Ovate que le souvenir d’un individu fissuré qu’elle ne voulait même pas comme ami tant il avait bafoué les règles les plus élémentaires de la bienséance.

« Si ton ami est malade, offre asile à sa souffrance, mais sois pour lui une couche dure, un lit de camp ». (Irvin Yalom)

Et elle consentit enfin à se pardonner de l’avoir approché. 

Ovate 

*Jean de la fontaine (le lion et le moucheron)

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