Les nouveaux misérables (suite)

Ne le laisse pas tomber, il est si fragile

Chapitre XXIV

Voilà comment les attitudes les plus vulgaires, font que les sentiments les plus nobles, que les promesses faites le plus librement, que les « cadeaux du Divin » selon Grabat, finissent dans la souillure des égouts. 

Elle avait attendu cette rencontre comme l’aboutissement de ce qui n’avait pas encore été nommé, de ce qui n’avait pas encore été consommé, de tout ce qu’elle voulait découvrir de cet amour dont il disait qu’il débordait de son âme. Elle avait eu l’intuition que cette rencontre ne ressemblerait pas à un mot bleu ni aux déclarations torrides et superficielles d’une cyber conversation. Une intuition sans raisons précises, comme le sont les intuitions. 

Au cours de ce séjour, elle était devenue la plus parfaite des Cendrillon. Elle finissait de remettre sa maison en état, rangeait les serviettes de bain qui traînaient sur le sol, les sous-vêtements, les vêtements tout ce qui était Grabat jonchait le sol. Ce mec vivait parterre. Tout était sens dessus-dessous, elle se demandait comment une personne pouvait à elle seule générer autant de bordel en si peu de temps. 

Elle lavait, nettoyait, rangeait, préparait les repas, dressait la table, débarrassait… Le goujat la regardait faire sans bouger, sans se demander si elle avait besoin d’aide. Il lui faisait même remarquer qu’en période de confinement il était difficile de trouver de l’aide. Elle lui laissait entendre que la femme de ménage pouvait se déplacer, mais il ne fit pas un geste. Elle n’avait jamais rencontré un tel malotru. 

Ovate était épuisée au point de déclencher une crise d’asthme aiguë, brutale et instantanée, accompagnée d’une toux incessante marquée par des sifflements et des essoufflements qui la rendaient vulnérable. Elle n’avait jamais eu de crise d’asthme, cet état la mettait hors service pour le Seigneur Grabat qui se plaignait de sa mauvaise santé et se moquait d’elle. Elle était frigorifiée. Grabat s’en foutait, il était surtout contrarié par le manque d’énergie soudain d’Ovate, qu’il avait lui-même provoqué par son attitude pitoyable, et qui le privait de son salaire quotidien. C’était le seul souci de ce péquenaud. Il fallait qu’elle se débarrasse de lui. Mais Comment ? 

Soudain, en passant l’aspirateur, elle éclata en sanglots. Le bruit de l’aspirateur masquait ses hoquets, elle se demandait ce qu’elle foutait là avec cet étranger, qui n’était qu’un amas de mots, qui lui demandait si elle voulait l’épouser, ou si elle acceptait de le suivre au bout du monde une semaine par mois, ou s’il pouvait revenir … Cet homme fracassé incapable de décider de sa propre vie, passait d’une proposition à l’autre à la vitesse de Speedy Gonzales. 

Elle sanglotait lorsque la tristesse l’envahissait, lorsqu’elle voulait faire le deuil d’un événement. C’était sa méthode de purification. Ses larmes nettoyaient toute la toxicité de son âme. 

Grabat était assis dans le jardin derrière la baie vitrée du séjour. Elle l’avait posé là pour qu’il contemple la beauté de ce paysage à couper le souffle, offert par la “Terre des dieux”. Mais aucune beauté de l’univers ne coupait le souffle à Grabat, alors que l’Ovate pouvait s’extasier devant la splendeur et la complexité d’une “simple” fleur.

Grabat, semblait préoccupé par le clavier de son écran sur lequel il tapotait frénétiquement. Il semblait agité, anxieux, contracté.  Elle avait compris qu’il jonglait avec son courrier du cœur. Elle ne dît rien. Elle savait qu’il avait bravé les handicaps. Elle savait qu’il avait fait face à la tornade familiale engendrée par le piège d’une passion amoureuse pour arriver jusqu’à elle. Fallait-il y renoncer et poursuivre sa vie, ou fallait-il pousser la curiosité en suivant selon le vieux dicton, le menteur jusqu’à sa porte ? La curiosité qui habitait Ovate devenait de plus en plus machiavélique. 

Derrière la baie vitrée, Ovate contemplait la mer et les hortensias qui lui rappelaient le jardin de son enfance lorsqu’elle était encore une ado, amoureuse de son voisin Grabat qu’elle voyait parfois traverser sa rue.

Elle posa les yeux sur Grabat, il avait une piètre allure. Elle lui demandait si tout allait bien, elle percevait qu’il était dans la confusion, tant il répondait maladroitement, rapidement, en bégayant : “Il fait beau, le ciel est bleu, j’ai les yeux qui piquent”. Il s’était tellement débiné derrière ses yeux qui piquent qu’il avait  fini par être atteint de cécité physique morale et intellectuelle. Il s’était oublié. Il ne savait plus qui il était. Il sombrait, et ne cessait de dire ou d’écrire à Ovate : « Ne m’oublie pas, pense à moi ”. Elle entonnait l’air de son ami Cookie, avec une pensée émue pour Joëlle Kopf qui avait écrit les paroles, et pour cette période bénie où le monde était encore doux et serein, loin de cette atmosphère maudite où la recherche du bonheur absolu a entraîné l’homme  dans les caniveaux des réseaux sociaux, en faisant de lui un individu nouveau, guidé par les mensonges, les tromperies, les duperies,  les désirs cachés, l’instabilité, la moralité tronquée, le manque de courage. 

« Ne le laisse pas tomber, il est si fragile, être un homme libéré tu sais c’est pas si facile »…

Ovate

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