Les nouveaux misérables (suite)

Grabat, sur la plage abandonnée…

Chapitre XXIII

Elle observait cet homme qui parfois quittait ses ténèbres, et qui parlait, parlait des nuits entières jusqu’à plus d’heure, il se racontait, il se dévoilait, il disait sa tristesse, ses chemins ratés, il disait qu’il se découvrait dans ses propres récits. Aux moments des confidences, il semblait sincère il était bouleversant, elle lui parlait de liberté, du libre arbitre. Elle lui expliquait une vie qu’il ignorait. Elle découvrait que cet homme n’avait jamais vraiment aimé, qu’il avait cru aimer.

« Aimer lui disait-elle, ce n’est pas se laisser enfermer par ses peurs par les autres, par les conventions. Aimer ce n’est pas s’empêcher de vivre. L ’Amour se gagne, ce n’est pas un lieu où l’on s’installe en pensant qu’il nous appartient, qu’il est acquis. L’amour est une quête à deux il se renouvelle chaque jour et chaque nuit, il est exigeant, capricieux parfois, il a besoin d’actes, d’attention, de regards, de sourires, de larmes, de complicité, de connivences, de toucher, de sexualité de spiritualité, c’est un bien rare et précieux qu’on ne rencontre que rarement dans une vie, lorsqu’on le rencontre, il ne faut pas le laisser partir.

Elle lui parlait aussi de la valeur du temps, de sa préciosité et de la fuite inéluctable et irrattrapable de ce temps que nous avons négligé dans la gloire et la force de la jeunesse, persuadés que nous n’avions pas à le retenir. Un jour, nous découvrons la quantité du temps passé, et nous nous demandons ce que nous en avons fait. Nous l’avons laissé s’envoler, nous l’avons gaspillé en trop de travail, en trop de morale, en trop de préjugés, en trop d’obligations. En trop, de trop. Elle lui dit qu’elle voulait regagner ce temps qu’elle avait laissé fuir, qu’elle voulait prendre tout ce que la vie voudrait encore lui offrir, que rien ni personne ne pourraient l’en empêcher. « C’est sans doute pour cela que je suis là, lui confiait-elle, pour vivre mon fantasme, une histoire d’amour inachevée? un grand amour? ou une romance sans coup de foudre, un nirvâna inventé »

Elle jouait à l’adolescente avec un amoureux qui aurait pu être n’importe lequel. C’était tombé sur Grabat à un moment où le monde partait en couilles, comme ce roman d’amour, improvisé derrière le rideau opaque d’un écran d’iPhone, par l’imagination de l’Ovate et de Grabat. C’était un chant d’amour échafaudé sur les ruines de la Covid19, un scénario trouble et vaporeux de l’accomplissement du désir. Une histoire conforme à ce qu’elle était : une période, un lieu, des mots, des divagations. La romance s’était construite dans l’illusion, elle finirait sans illusion. Ovate ne cessait de le dire à Grabat dès le début de leur conversation. « Tu n’es pas un homme libre. Ton esprit, ta vie, tes réflexions, tout ce que tu es, et que tu exprimes est bloqué, verrouillé. Tu portes des chaînes qui rendent tes rêves inaccessibles. Tu n’as pas les moyens de tes rêves, tu ne les auras jamais « .

Grabat ignorait ce langage, personne ne lui avait jamais parlé avec autant de loyauté. Cette femme arrivait toujours là ou on ne l’attendait pas. Elle était une surprise permanente. Chaque matin il lui laissait un message qui restait un message aussi inerte que l’inertie de Grabat, et dont elle ne savait que faire :  « Bonjour à la femme qui a su me donner un bonheur inégalé sur et sous ma peau. Celle qui a su effacer de ma tête, ma mélancolie et le poids des ans. Celle qui m’a accepté tel que j’étais, sans une parcelle de faux semblant ou de paraître »

Ce langage la contrariait, ils confirmait tout ce qu’elle pensait. « Je suis son médecin, sa mère Theresa, son psy, son infirmière, » L’Ovate voulait s’enivrer dans les bras d’un Roméo, et vivre une histoire d’amour passionnée, ardente, et fougueuse, elle n’avait trouvé qu’un ectoplasme, mou et inconsistant qui la faisait rire d’elle-même et du personnage qu’elle jouait.

A la fin des figures imposées par les 72 heures, Ovate reprit ses esprits. Elle remit de l’ordre dans la chambre qui ressemblait à un champ de bataille, réaménageait sa maison où Grabat avait occupé le moindre espace en laissant derrière lui un désordre impressionnant. Elle réorganisait sa vie à Cythère, une vie légère sans contraintes, et partageait tant bien que mal avec Grabat, les quelques doux instants qui restaient de leur improbable et inattendue aventure amoureuse.

Grabat revenait tout doucement à la vie, il refusait de sortir, mais finissait par se laisser faire, elle l’entraînait dans des lieux de zénitude sur les rivages bleu Klein des eaux agitées où elle le voyait s’évader pendant qu’elle craignait que les gardes covidaux ne le verbalisent.

A partir de ces moments de liberté retrouvée, Grabat se laissa aller à son péché originel. Sur la plage, alors qu’il marchait difficilement, il se retournait à 180° pour suivre, avec ce qui lui restait d’yeux, tous les culs qui bordaient le rivage. Surprise, Ovate riait aux éclats, elle participait aux règles du jeu, et se retournait avec lui en commentant chaque cul qui passait. Ce mec était complètement cinglé. Cette scène était grossière et pitoyable. Il n’eut ni la dignité, ni l’élégance de s’arrêter, elle se payait ouvertement sa tête, mais il ne voyait rien. Il était ridicule.

Ovate

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