Dettes : le tonneau des danaïdes

Mirabeau : « Douter de la valeur de l’assignat c’est douter de la révolution, c’est un crime ». 

Réplique de la rue : « Les écus sont les écus, les assignats des torche-culs »

Le 15 août 1971, le président américain Richard Nixon a suspendu la convertibilité du dollar en or. Cette suspension a été le catalyseur de l’expansion mondiale à crédit. Une économie alimentée par la dette et par la création monétaire massive a bénéficié aux gouvernements et aux riches, créant un problème plus important pour les classes moyennes et les pauvres, étant donné que les prix des actifs sont artificiellement gonflés,  mais pas les salaires réels alors que les prix des dépenses essentielles comme le logement, les soins de santé et les services publics augmentent.

Les banques centrales sont enfermées dans une « trappe à dette ». Toute tentative de normalisation de la politique monétaire entraînera une montée en flèche du service de la dette : des insolvabilités massives, des crises financières en cascade et des retombées sur l’économie réelle.

Les gouvernements étant incapables de réduire les dettes et les déficits élevés en dépensant moins ou en augmentant les recettes, ceux qui peuvent emprunter dans leur propre monnaie auront de plus en plus recours à l’inflation : compter sur une forte hausse des prix pour effacer les dettes. 

L’inflation, qui se mesure par la hausse des prix, n’est rien d’autre qu’une baisse de la valeur de la monnaie aboutissant à ce qu’appelait Keynes « l’euthanasie du rentier ».

Comme dans les années 1970, des chocs d’offre négatifs persistants et répétés se combineront à des politiques monétaires et budgétaires accommodantes pour aboutir à la stagflation. De plus, des ratios d’endettements élevés (privés et publics) créeront les conditions de crises stagflationnistes des dettes. 

Comment se crée la dette publique ? Est-elle soutenable ?

Au sens du traité de Maastricht, la dette publique couvre l’ensemble des dettes contractées par les administrations publiques : administrations centrales, administrations locales et administrations de sécurité sociale.

Si les dépenses sont supérieures aux recettes, il y a un déficit budgétaire. Les administrations publiques doivent alors emprunter pour financer ce déficit. Le solde budgétaire français est en déficit depuis 1975. La dette publique a augmenté depuis 1974 : de l’ordre de 20% du PIB à la fin des années soixante-dix, elle atteint le niveau de 115% en 2022. 

Le mouvement a été similaire à travers le monde, avec la dette publique américaine qui atteint 97% du PIB. Celle du Japon dépasse les 250% et celle de la zone euro approche les 95% du PIB. Parmi les pays du « Club Med », elle dépasse aujourd’hui 150 % du PIB en Italie, 117% en Espagne et 190 % en Grèce.

Lorsque l’on regarde les montants des dettes, la progression se révèle être stratosphérique. Par exemple, la dette publique américaine est passée de 5 000 milliards de dollars au début des années 2000 à plus de 25 000 milliards de nos jours.

La dette publique, à des niveaux sans précédent, est devenue le défi le plus urgent et le plus difficile que les gouvernements occidentaux doivent relever.

La hausse des dettes publiques s’explique essentiellement sur la période récente par l’accumulation des déficits budgétaires. En France, c’est le déficit de l’État et celui des comptes sociaux qui expliquent la progression de l’endettement. 

Michel Pébereau, ancien patron de BNP Paribas, remet en 2005 un rapport sur la dette publique. Voici un passage révélateur : « Si la dette a autant augmenté en France depuis la fin des années 1970, c’est parce que les dépenses publiques se sont accrues en moyenne plus vite que la production nationale. Les recettes progressent, elles, au même rythme que le PIB. » Et plus loin : « La culture de la dépense s’est ainsi substituée à la recherche d’une efficacité en profondeur et à la fixation d’objectifs en termes d’utilité pour les citoyens et pour l’économie. Ce faisant, la France a peu à peu accumulé les déficits publics, sans parvenir à résoudre les problèmes du chômage et de la pauvreté. Elle s’est endettée dans des conditions qui restreignent ses marges de manœuvre pour la régulation conjoncturelle et qui hypothèquent son avenir à moyen terme. »

Les américains emploient à raison l’expression « kick the can down the road », symbolisant la fuite en avant face aux problèmes d’endettement dont la résolution sera transmise aux générations futures. La France l’a appliquée à merveille pendant plus de quarante années. Elle vient d’être rejointe par la plupart des grands pays développés, lesquels sont tombés dans l’addiction à la dette, permise grâce au guichet « d’argent magique » des Banques Centrales.

L’évolution de la dette publique et la question de sa soutenabilité 

La dynamique de l’endettement public dépend de trois paramètres liés entre eux :

– la croissance : lorsque le PIB s’accroît rapidement, le rapport dette/PIB s’améliore mécaniquement. À l’inverse, en cas de récession, le ratio dette/PIB peut se dégrader tout aussi mécaniquement ;

– le taux d’intérêt réel : s’il est faible, la dette s’autoalimente peu, à l’inverse, s’il est élevé, le refinancement de la dette est coûteux et l’on entre dans l’effet « boule de neige » : on emprunte de plus en plus pour faire face non pas au remboursement du capital de la dette, mais pour pouvoir payer les intérêts ;

– enfin, le solde public a un impact majeur sur l’évolution de la dette d’une année sur l’autre. Un déficit public important alimente la croissance de la dette

Bien que les marchés financiers ne croient pas à la perte de la soutenabilité de la dette publique de la zone euro, des risques demeurent :

 – si l’inflation est durablement plus forte, la BCE devra lutter contre l’inflation avec des taux d’intérêt élevés ; 

le retour à des règles budgétaires strictes sera difficile avec des dépenses publiques supplémentaires (dépenses militaires, pouvoir d’achat, transition énergétique) ; 

une augmentation de la croissance de la zone euro est très douteuse ;

Avec les taux d’intérêts qui vont continuer de monter sur une dette qui va poursuivre sa hausse, le service de la dette dépassera potentiellement 5 % du PIB, et pour pouvoir y faire face, il faudra soit que toutes les autres dépenses de l’Etat soient coupées en montants équivalents (Défense, Police, Justice, Education, retraites, transferts sociaux vont devoir être impactées), l’alternative étant de faire défaut sur la dette passée.

L’histoire nous enseigne que la flambée de la dette publique, une forte inflation et une remontée des taux d’intérêts constituent un cocktail aux conséquences désastreuses. Au cours des prochains mois, nous risquons d’assister à un accroissement de la charge de la dette, du coût des crédits pour les entreprises et les ménages, engendrant une forte récession économique.

Histoire française des résolutions de la dette

Un État, pour se défaire de sa dette, ne connaît que la spoliation par la banqueroute ou par l’hyperinflation.

Les conditions d’une perte de contrôle de l’endettement dans lesquelles les États font défaut sont souvent les mêmes : la crainte des marchés financiers de ne pas obtenir de remboursement fait augmenter les taux d’intérêt. Le service de la dette pèse alors de plus en plus dans les budgets, ce qui augmente encore le risque de défaut et donc les taux d’intérêt. 

En France, sous la monarchie, une méthode de spoliation plus élaborée que la banqueroute a été utilisée par les Rois de France : la dévaluation monétaire. À la veille de la Révolution française, la situation des finances publiques était catastrophique. Malgré la vente des biens du clergé et la création des assignats, la situation économique et financière continua de se dégrader. Le Directoire vota alors la dernière banqueroute française en 1797 : la banqueroute des deux tiers.

La méthode de l’inflation a également été utilisée par la France après la Seconde Guerre mondiale. Alors qu’en 1950, le ratio de dette sur PIB était de 30%, en 1944, il s’élevait à plus de 250%. Les prix ont quadruplé entre 1945 et 1948 et les détenteurs de la dette qui étaient très majoritairement des épargnants français ont perdu ce que l’État a gagné.

Une autre méthode, plus vertueuse, consiste à dégager des excédents budgétaires. 

La récente monétisation de la dette

En juillet 2012, dans un contexte de crainte sur les dettes des pays du Sud de l’Europe, Mario Draghi alors président de la BCE, formula son fameux « whatever it takes » afin de sauver la zone euro et la monnaie unique.  

La monétisation de la dette publique intervient lorsque la banque centrale prête de l’argent à l’État et émet ainsi les liquidités qui lui manquent pour boucler son besoin de financement. 

La mise en œuvre de la monétisation de la dette publique, expérimentée dans l’histoire par de nombreux pays, est considérée dans la théorie monétaire comme inflationniste, voire hyperinflationniste. La monétisation alimente la défiance dans la valeur de la monnaie enclenchant une baisse des cours qui entretient l’inflation par le renchérissement des produits importés.

Le scénario catastrophe de la perte de contrôle 

Une remontée durable des taux d’intérêt liée à de fortes tensions inflationnistes, une récession ou une croissance économique en berne, des comptes publics de plus en plus dégradés, ou les trois associés au sein des pays de l’euro zone peuvent conduire à la faillite d’un ou plusieurs états membres et à l’éclatement de la zone euro. 

Pour faire face à cette crise de la dette, il n’y aurait que deux mauvais choix : faire défaut et s’enfoncer dans une crise économique sans précédent, ou bien se désendetter massivement par une politique d’austérité aux conséquences sociales et politiques redoutables.

Donald Duck

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