La rencontre sans fleurs de lys
Chapitre XXI
Ovate attendait patiemment. Elle fixait attentivement chacun des 162 passagers qui sortaient à pas de course. Elle ne voyait aucun superman vêtu de blanc ou portant un bouquet de lys.
Elle dévisageait chaque passager. Celui-là ? celui-ci ? cet autre ? lui là bas ? joli sourire, trop jeune, trop vieux, beau, laid, élégant, vulgaire, gras, bedonnant … 162 passagers moins les femmes et les enfants, elle n’avait que l’embarras du choix ! Mais elle ne voyait pas l’ombre d’un Joe Dassin se profiler à l’horizon.
Ovate sentit le seum lui traverser les méninges en apercevant le dernier passager. Il lui fit un signe timide de la main. Il n’avait rien de Rhett Butler, ni de Heathcliff des Hauts des Hurlevent, ni de Gatsby le Magnifique, ni de Roméo, pas même de Quasimodo !
Elle vit un homme vieux, son visage et ses yeux trahissaient une tristesse infinie et la profonde affliction morale dont il se plaignait depuis des mois. Elle reconnaissait en cet homme la douleur et le désenchantement dont il lui avait parlé au cours de ces longs Bla Bla Bla virtuels qui avaient remplacé la voix et la présence humaine. Il avait perdu une bonne partie de la vue et marchait d’un pas hésitant de peur de heurter un obstacle. Il respirait mal, son visage était altéré par des bajoues, un rhinophyma déformait son grand nez par la présence de morceaux de peau caoutchouteux et bulbeux. Ses yeux à peine ouverts, disparaissaient sous des cernes et des boursouflures, sur son visage s’étalaient des tâches brunes et des plaques de couperose.
Sa seule expression venait de son regard et de sa voix, les deux seuls signes qui lui donnaient encore vie. Le voir dans cet état ébranla Ovate qui le serra spontanément dans ses bras. Elle ne voulait pas qu’il se sente diminué. Elle était comme ça Ovate, abonnée à la cour des miracles. Elle lui prit le bras pour le conduire vers sa voiture.
Dans la voiture elle lui demandait comment il allait, s’il avait fait bon voyage, s’il se sentait bien. il lui caressa la main, et lui dit qu’elle était bien plus jolie en vrai, qu’il savait qu’elle avait la peau douce avant même de l’avoir touchée. Sur le chemin, vers les hauteurs de Cythère, ils échangèrent quelques phrases et lui confiait combien il était malheureux.
Pourquoi n’était-il pas parti lui demandait-elle, personne ne doit fréquenter le malheur pendant tant d’années ! Il lui avait répondu par une une phrase qu’elle avait retenue tant elle avait été choquée : “Si je pars il faut que je leur laisse tout mon argent”. En quelques mots il lui expliqua que sa maison ne lui appartenait pas, que son aîné et son épouse détenaient la majorité des parts de ses biens. Le pauvre Grabat était tenu par la barbichette, un mauvais dérapage de sa part lui vaudrait la claquette de sa vie. Cette famille était une salade de fruits gâtés, pourris de l’intérieur. Elle acceptait volontiers de se débarrasser de Grabat, à condition qu’il consente à lui abandonner le magot. Grabat se décrivait comme un meurt-de-faim. Cela faisait sourire Ovate. Elle passerait quelques jours avec lui, il partirait, et la vie continuerait.
A peine arrivés, Grabat fit l’inspection de la maison. Il essayait la qualité des lits, puis les toilettes, il évaluait les espaces comme quelqu’un qui allait s’installer là définitivement. Elle comprit que cet homme était bien plus abimé qu’il le disait. Il avait besoin de réconfort et de tendresse. Il ne s’en cachait pas, il se disait agoraphobe et avait besoin de repos avant d’affronter le royaume d’Alice au pays des merveilles où elle voulait l’entraîner…
Il avait une panoplie impressionnante de médicaments, elle décidait qu’il fallait le sevrer de ces poisons quotidiens, qu’elle lui redonnerait goût à la vie. Il était venu sans armes, comme un chien perdu sans collier qui demandait secours et protection. Elle était profondément touchée par cet homme qui avait mis toute sa confiance et ses espoirs de guérison en elle… Il voulait aussi, sans doute, surement, lui voler du temps et de l’amour pour guérir et disparaître ensuite…
Il avait rêvé de passer 72 heures enfermé avec elle. Elle n’avait jamais compris pourquoi 72 heures ? Pour elle, 72 heures, c’était le temps d’une méchante migraine. Pendant ce séjour elle décida de se prêter de bonne grâce à la découverte de Grabat qui lui avait juré, écrit, chanté, déclaré qu’il avait enfin trouvé son âme sœur, un amour rare et unique, un discours virtuel que Grabat entendait à sa manière, mais qui ne signifiait rien dans la réalité. Elle ne l’écoutait plus vraiment, parfois elle ne lisait même pas ce qu’il écrivait elle savait qu’il lui jouait du sifflet de chevrier pour mieux la capturer. Il n’avait pas compris qu’elle était libre de ses actes, de ses choix et de ses désirs, et qu’il n’avait pas besoin d’en faire autant pour la conquérir. Ovate connaissait l’issue de cette idylle, elle savait qu’elle ne survivrait pas à la pleutrerie de Grabat qui donnait de lui l’image d’une poule mouillée.
Il était arrivé les mains vides, pour la femme de sa vie, la moitié de son âme, c’était fort de café… Grabat n’était pas un prince généreux, loin de là. Il lui demanda de vider sa valise, et de lui préparer une collation. Elle essayait quand même de l’entraîner d’abord dans un pas de danse pour lui donner le baiser de Scarlett O’hara qu’elle lui avait promis, et pour tester sa capacité à la fantaisie, mais il ne semblait pas enclin à recevoir une once de fantaisie. Pour toute réponse, il lui répéta : “Pour moi, la musique c’est du bruit”. Ovate était décontenancée par son attitude. Elle ne dit rien.
Elle lui servit le thé et les biscuits qu’il avait commandés, puis il s’installa en en mettant partout, sur le tapis, la nappe, son t-shirt, tout était parsemé de miettes et de gouttes de thé. “Ça commence bien” ! se dit-elle. Au moment de débarrasser la table, le goujat ne se leva pas, et elle se vit être celle qu’elle n’avait jamais été : la servante du Seigneur.
Plus tard, Slil, lui dit en se moquant : « Tu es loin de la Belle du Seigneur Ariane ! Ton Solal ne sera jamais celui-là »!
Ovate
