Ce samedi matin d’avril, au bois nouveau de la commune Eteimbes dans le Sundgau, Julie, une gamine de 6 ans aux yeux noisette et au sourire angélique me demande : « Il paraît que vous parlez aux arbres, est-ce vrai ? ».
Il est vrai que depuis quelques semaines, une rumeur s’amplifie dans ce coin du Sundgau, « Hé vous le savez ! Sur le chemin de santé dit la Viteimboise, il y a une personne qui parle avec les arbres.
Faisant suite aux travaux de la Canadienne Suzanne Simard, (professeur-chercheuse-biologiste) de renommée internationale, on sait maintenant que les arbres communiquent entre eux grâce à un réseau d’ondes électriques, constitué de racines et de champignons. C’est l’internet végétal de la nuit des temps avant l’heure de la révolution numérique de ce siècle.
Cette découverte a été essentielle. Depuis, plusieurs universités ont poussé leurs recherches dans cette voie.“Le fait d’apprendre que les cellules des végétaux s’envoient mutuellement des signaux similaires à ceux utilisés par mes propres neurones, que les plantes évaluent le monde qui les entourent et prennent les décisions appropriées, tous ces éléments m’ont conduit à considérer chaque végétal, y compris les mauvaises herbes, avec un respect grandissant.”
Pour échanger et comprendre nos amis les arbres, il faut se donner les moyens, cela dépend de notre volonté.
Comment faire ?
“ D’abord prendre le temps de ne rien faire ! ”
C’est l’éloge de la lenteur. Dans la nature, le cycle des saisons est immuable, comme le nombre d’heures dans la journée et de jours dans la semaine. La nature n’a pas de prise sur le temps ni sur le rythme des saisons, on ne peut pas l’accélérer. C’est comme si au contact de la nature, notre horloge interne reprenait son rythme naturel.
C’est le premier pas. Retrouver son horloge interne pour s’ajuster aux rythmes des êtres qui nous entourent en forêt, et nous connecter à eux.
Souvent, alors que je conseille cela auprès des personnes que j’emmène en forêt, on me regarde comme si j’étais un extra-terrestre, c’est pourtant la première clé de l’échange.
“Loin des yeux, loin du cœur”
Notre éloignement de la nature, nos attitudes négatives, cupides, à son égard a eu pour conséquence notre incapacité à l’aimer, à la comprendre et à la protéger alors qu’elle nous est bénéfique et qu’elle fait partie de nos besoins vitaux.
Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. La nature nous donne des signes, les éléments nous rappellent que nous ne sommes rien face à leurs déchaînements. Les arbres nous le disent, ils hurlent nos dénis.
Malgré l’intérêt que certains élus portent à la sauvegarde de la nature, tous les gestes restent vains. Pourquoi ? Par manque de dialogue direct avec dame nature, on ne s’entend pas, on ne s’écoute pas, on ne se respecte pas. Nous sommes dédaigneux, nous avons oublié que nous venons de la fameuse maison commune.
La philosophe Cynthia Fleury, parle d’amnésie environnementale, dans son ouvrage collectif ‘’Le souci de la nature’’.
‘’Bien souvent, nous n’avons pas l’impression qu’il nous manque quelque chose !». dit Cynthia Fleury. En effet, nous oublions que l’air que nous respirons, vital pour nous, vient de nos amis les arbres. Alors comment pouvons-nous imaginer parler avec eux si nous les ignorons ? Comment expliquer ce langage à une fillette de 6 ans ?
La nature est à notre disposition, nous pouvons râler contre elle, s’il pleut, s’il neige, s’il gèle, s’il fait chaud, s’il y a la sécheresse, le brouillard… Mais elle reste là, elle est notre univers. Elle EST.
J’évoque souvent la mémoire de l’eau, des arbres, des roches, des sols pour remémorer notre passé au milieu de ces lieux où nous vivons et qui sont les nôtres. Si nous ouvrons nos outils intérieurs au monde qui nous entoure, le dialogue peut s’établir sur le réseau de la connexion universelle.
Julie n’a rien à faire de mon propos
« Monsieur, le barde, je ne comprends pas ce que vous racontez. Les arbres parlent-ils ? Moi je ne les entends pas !». Je sens une vraie attente de cette fillette, mes explications ne sont pas audibles pour elle.
Que faire ? Je demande à mes êtres chers un coup de main. Peuvent-ils m’aider à donner une réponse à Julie ?
Soudain, mon ami le vieux sapin, dont le tronc forme une courbe insolite pour un résineux, me souffle une idée.
Je m’adresse à Julie : «Veux-tu entendre le son de la voix de ce sapin si particulier ? Veux-tu savoir pourquoi il si particulier ? ».
Julie me répond avec ses rieurs, «Oui, Marcello je sais ! Le tronc est fatigué d’être debout, il se repose, oui, je veux entendre sa voix ». Je me dis, qu’il ne faut pas décevoir cette gamine.
J’ai sorti de mon sac à dos, un vieux stéthoscope récupéré lors d’un vide-grenier à Heiligenberg dans la vallée de la Bruche, et mon fameux bois à parole* que j’ai préparé pour aller devant le sapin courbé.
A la vue des deux objets, Julie me regarde les yeux grands ouverts. Je lui demande de venir près du tronc du vieux sapin. Je lui ai mis le stéthoscope autour du cou et les embouts dans ses oreilles.
Julie, légèrement inquiète, mais très fière et surtout très sérieuse dans son rôle de docteur des arbres, s’avance vers le tronc. Je lui fais signe d’attendre, puis je lui pose une question : « Julie, je vais demander au sapin s’il veut parler avec toi ! Es-tu toujours d’accord ? ». En hochant la tête, Julie acquiesce.
Avec mon bois à parole, je m’applique à taper sur le tronc et la résonance se fait immédiatement. Je lui indique où elle doit poser son stéthoscope pour bien écouter.
A cet instant, les parents ne savent pas s’ils doivent rire, Ils sont un peu décontenancés, mais Julie du haut de 6 ans gère la situation et hurle « maman maman ! ils parlent, ils parlent ! mais je ne comprends pas leur langue ! ».
Le père se dirige vers sa fille, il lui demande de lui prêter le stéthoscope, il met les embouts dans ses oreilles, et il entend la mélodie de la circulation de la sève à travers l’appareil. Son regard est celui d’un enfant devant le père Noël, puis ému, il m’embrasse.
Toute la famille a fait l’expérience du stéthoscope pour écouter la parole de la sève du sapin courbé.
Pour Julie, je suis l’homme qui chuchote aux écorces et aux aiguilles de sapins. Je suis un magicien.
Il ne faut jamais s’interdire de rêver en forêt. C’est le lieu idéal. Lors de vos promenades, laissez votre âme d’enfant ressurgir. C’est un magnifique placebo contre le stress, la morosité, et je peux vous le certifier, les arbres parlent à ceux qui veulent les entendre.
*(Voir la rubrique Bien être)
Marcello le Barde du Guirbaden