La vague Covid a déferlé sur l’Abrapa comme un tsunami. En février 2020, la plus ancienne association d’aide et de services à la personne du Bas-Rhin, reconnue d’utilité publique, a dû relever le défi d’une situation hors norme liée en particulier au confinement. Comme beaucoup d’autres ? Oui, sauf que l’Abrapa intervient auprès des plus fragiles, les personnes âgées, et qu’elle gère et/ou anime 10 maisons de retraite, 13 Ehpad, une foule de prestations à domicile, et emploie 3500 personnes.
Créée dans l’urgence, une cellule de crise a planché sur la question suivante : comment concilier le service aux bénéficiaires et le chômage partiel des salariés en prenant en compte la détresse des uns et des autres ? La réponse s’est imposée, avec l’accord des pouvoirs publics : fermer certains services, pas tous.
« On a maintenu les activités d’urgence à domicile », dit Jean Caramazana, directeur général de l’association : les soins infirmiers (850 patients), l’équipe spécialisée Alzheimer (472 patients), la téléassistance et le portage des repas (450 000/an). Mais il a fallu fermer l’hôpital de jour (35 patients/jour), les accueils de jour (153 bénéficiaires) et interrompre l’aide à domicile (ménage, toilette, etc., 8231 bénéficiaires), excepté pour les personnes extrêmement dépendantes.
Perte d’activité = « manque à rentrer »
Face à une adversité d’un genre nouveau, les équipes ont résisté, « je suis en admiration devant elles », salue Jean-Jacques Pimmel (parrain du Torchis), le président de l’Abrapa. Mais elles ont été secouées psychologiquement par l’interdiction des visites – une mesure « d’une dureté sans nom » -, les clusters, les décès en surnombre (123 sur 1095 lits). Elles ont payé aussi, physiquement, le manque de protections individuelles du début, le nettoyage permanent des surfaces ou le ralentissement des gestes dû au protocole sanitaire. Et ce n’est pas fini.
Economiquement, l’Abrapa l’a échappé belle, jusqu’ici. Sans le « quoi qu’il en coûte », expliquent les dirigeants, elle aurait mis la clé sous la porte à cause de la perte d’activité (aide à domicile réduite à 10%, taux d’occupation des Ehpad tombé de 95 à 80%, etc.). Avec une masse salariale représentant 80% du budget, on imagine les dégâts évités sur deux ans.
Heureusement, donc, la Collectivité européenne d’Alsace (CeA) et les Agences régionales de santé (ARS) ont maintenu leurs dotations 2020 et 2021, et elles ont compensé le « manque à rentrer » lié aux services non facturés. En conséquence de quoi, l’Abrapa a pu préserver l’emploi et verser 100% du salaire à son personnel en chômage partiel.
Pénurie suraigüe de personnels
« Nous sommes sortis sans trop souffrir de cette période, mais nous avons perdu du chiffre d’affaires qu’il faut reconstruire », dit le président Pimmel. L’association est confiante, le retour des clients perdus pendant la fermeture s’effectuera petit à petit, on sent d’ailleurs un « frémissement ». Mais encore faut-il avoir les moyens de répondre à la demande…
Car la pénurie de personnels, suraigüe depuis la Covid, contraint déjà à refuser des clients, en particulier dans le domaine du soin, « une horreur absolue », dit Jean Caramazana. La question du personnel serait « la clé de la reprise ». Or la source se tarit : les organismes de formation sont loin de faire le plein.
La période 2022-2023 s’annonce « très délicate » pour l’Abrapa, association à but non lucratif. Activité en baisse, augmentation des salaires (*) et tarifs clients constants ne font pas forcément bon ménage dans un budget. « Tous les mois, ça se creuse, s’inquiète Jean-Jacques Pimmel. Heureusement que notre association a les reins solides. »
Le salut devrait venir des pouvoirs publics. Avec d’autres, l’Abrapa négocie actuellement la prise en charge à 100% des revalorisations salariales. CEA, CNSA, ARS seraient conscients du problème. Reste à passer à l’acte, rapidement.
Ruth
(*) Depuis le 1er novembre 2021, + 228 € bruts pour les personnels des EHPAD, hôpital de jour et pharmacie interne, excepté les médecins, financés par les ARS (Ségur de la santé). Depuis le 1er octobre 2021, + 300 € bruts en moyenne pour les auxiliaires de vie sociale, financés par les conseils départementaux et la Caisse nationale de solidarité à l’autonomie (avenant 43 à la branche de l’aide à domicile). Coût des revalorisations salariales pour l’Abrapa en année pleine: environ 12 M€.