Interview Céline Geissmann
Sur fond de désaccords entre écologistes et socialistes, Jeanne Barseghian, maire (EELV) de Strasbourg, a démis de ses fonctions définitivement, par un simple communiqué assez brutal, son adjointe à la ville numérique et innovante, Céline Geissmann (PS).
Depuis l’ère Keller/Grossmann en 2001, c’est la première fois qu’une maire agit ainsi. Une sanction d’autant plus incomprise par les strasbourgeois qu’elle touche une jeune femme de 29 ans, réfléchie, plutôt réservée, et appréciée par les services pour la qualité de son travail, pour sa personnalité positive.
Céline Geissmann reçoit aujourd’hui des messages de soutien et de solidarité de toute la classe politique. Hasard ou pas, dans une ville concordataire où l’équilibre de la représentation des communautés a toujours été au cœur des préoccupations politiques, il n’y aura plus de juif dans l’exécutif. Cela n’était plus arrivé depuis 1945.
Churchill pour le Torchis – Céline, vous venez d’être virée de l’exécutif du conseil municipal de Strasbourg par la maire Jeanne Barseghian. Comment vous vous sentez là, maintenant ? Vos sentiments ?
Céline Geissmann : Mon premier ressenti a été la brutalité de l’annonce. J’ai appris mon éviction à peine plus d’une heure avant la diffusion du communiqué de presse de la maire. Mon premier réflexe a été de prévenir ceux avec qui je travaillais quotidiennement.
Jeanne Barseghian m’a convoquée dans son bureau. C’est elle qui m’a annoncé sa décision : retirer mes délégations d’adjointe. Concrètement, elle voulait que je lui garantisse un soutien aveugle alors même qu’elle n’a pas été capable de m’associer aux décisions structurantes du mandat. Or, c’est un non-sens parce que nous n’avons pas été élues sur les mêmes listes. Nos programmes étaient différents, nos engagements auprès de nos électeurs aussi. Il est évident que je ne pouvais pas dire : « Je soutiens à 100 % toutes les décisions de la majorité prises sans concertation préalable de notre groupe ». Ma fidélité va avant tout aux Strasbourgeois qui nous ont fait confiance et dont je porte la voix dans cet hémicycle.
La maire et les Verts parlent « de renouveau des pratiques », « des valeurs du dialogue ». En fait, il s’agit vulgairement d’une manœuvre politicienne.
C’est un aveu d’échec. L’aveu que Jeanne Barseghian n’a pas réussi à rassembler. L’aveu qu’elle n’arrive pas à composer avec des sensibilités différentes, à coordonner une coalition. Il est toujours plus facile d’exclure que de dialoguer.
Malgré tout, j’ai pu dire à Jeanne Barseghian lors de notre entretien que je sors de cette expérience grandie ; que j’ai beaucoup appris ; que je ne suis pas aigrie ; et que je suis reconnaissante de la confiance qu’elle m’avait accordée.
Alors aujourd’hui, je vais bien car j’ai le sentiment d’avoir été jusqu’au bout, d’avoir été fidèle à mes convictions, d’être restée cohérente, et d’avoir fait correctement le travail qui m’a été confié. Je n’ai pas bradé mes convictions pour un poste d’adjoint. Je n’ai pas de regrets.
Est-ce que cette éviction est injuste ?
(long silence) C’est injuste si l’on se base sur la sincérité de mon engagement et sur les faits. D’ailleurs Jeanne Barseghian me l’a dit après m’avoir annoncée la nouvelle : « Je ne te reproche rien dans ton travail ».
Le communiqué de la maire est tout de même brutal à votre égard ?
C’est vrai qu’elle utilise un vocabulaire assez violent. « Elle exige », cela m’a marquée. Mais surtout ce qu’il y a d’intéressant ce sont les raisons qu’elle développe, elle attend de son exécutif : « constance dans le travail, sens du collectif et responsabilité ».
Constance dans le travail : je l’ai été. J’ai toujours été force de proposition, présente quotidiennement à l’écoute des acteurs de terrain et des citoyens.
Sens du collectif : également ! Malgré les dysfonctionnements de cette municipalité, j’ai toujours œuvré dans ce sens puisque sur les sujets dont j’avais la charge, le numérique ou la citoyenneté européenne, j’ai toujours travaillé avec mes collègues élus et adjoints, dans la collégialité, parce que je considère que ce sont des sujets transversaux.
Responsabilité : je n’ai pas failli ! Pendant le confinement j’ai mis en place une assistance numérique dans les mairies de quartier ; j’ai remis sur les rails le projet du Shadok par la concertation dans l’idée d’en faire un lieu d’éducation populaire au numérique ; j’ai réussi à faire que la fête de l’Europe soit présente dans tous les quartiers et pas uniquement dans l’hyper-centre. J’ai animé et coordonné l’Agora Strasbourg Capitale européenne pour créer de nouveaux projets avec les associations afin de renforcer la vocation européenne de la ville.
Les mots de la maire dans son communiqué semblent donc inappropriés.
Catherine Trautmann dans un long communiqué vous apporte un vibrant hommage et un soutien inconditionnel, cela vous a touché ?
J’ai reçu une multitude de messages de solidarité, même de mes adversaires politiques. Tellement que je n’ai pas encore pu répondre à tous les courriers. Les Strasbourgeois m’arrêtent dans la rue pour m’apporter leur soutien.
C’est vrai que le message de Catherine Trautmann m’a beaucoup touché. C’est quelqu’un que j’admire énormément. C’est elle qui est à l’origine de mon engagement politique.
Dans cette tribune intitulée « La maire tranche et rate sa cible », Catherine Trautmann évoque le fait que la charge dirigée contre moi n’est en fait qu’une attaque destinée à notre groupe avec lequel la maire n’a pas su composer.
C’est sans doute un manque de sens politique de Jeanne Barseghian. Il était plus facile de congédier une jeune femme de 29 ans plutôt que d’engager le dialogue avec Catherine Trautmann pour trouver des solutions à nos divergences politiques.
C’est d’autant plus ahurissant que la maire actuelle ose se revendiquer de l’héritage de Catherine Trautmann. Elle, elle ne recourt pas à de telles méthodes. Utiliser cet argument à cet instant, c’est au contraire bafouer cet héritage.
Céline Geissmann, vous semblez toujours avoir été loyale avec Jeanne Barseghian ?
Oui bien sûr, j’ai toujours été loyale dans l’exercice de mes responsabilités. J’ai en revanche toujours voté avec mon groupe avec lequel j’ai été élue, celui des socialistes. Et c’est normal ! Ma loyauté est liée aux engagements que nous avons pris devant nos électeurs, les Strasbourgeois que nous représentons. Cependant, je n’ai jamais pris la parole contre l’exécutif, même quand j’étais solidaire de mon groupe lors des votes. J’aurais pu le faire, exprimer mes réticences, mes réserves ou des avis divergents.
La seule fois où j’ai exprimé une position différente de la maire, c’était lors du débat sur la lutte contre l’antisémitisme qui a profondément heurté mes valeurs républicaines. La majorité a voté contre la définition internationale de l’IHRA. Je ne pouvais rester silencieuse, ni voter en ce sens. Jeanne Barseghian m’a par la suite reproché mes propos.
Les prises de position de la maire de Strasbourg et de son exécutif ont très clairement tendu les relations avec les juifs d’Alsace. Je ne vais pas revenir sur toutes les polémiques qui ont émaillé ce mandat. Mais devant la synagogue les gens discutent… Certains disent que si vous avez été exclue, contrairement à votre colistier Salah Koussa, c’est parce que vous êtes juive ?
Salah Koussa et moi-même avons été traités de la même manière, nous n’avons pas fait les même choix, et je respecte le sien.
Pour le reste, je ne peux en dire davantage pour le moment. Je me réserve pour le débat dans l’hémicycle du 13 décembre où le Conseil Municipal va devoir voter pour ou contre mon éviction. J’aurai évidemment des éléments à apporter.
C’est la première fois depuis 1945 qu’il n’y aura plus de juif dans l’exécutif strasbourgeois. Pensez-vous qu’il y a de la défiance vis-à-vis de la communauté ?
Il y a une méconnaissance de l’histoire de la communauté juive, ainsi que de l’histoire de notre ville, de ses habitants, de son pluralisme cultuel, et de sa concorde religieuse. L’histoire des juifs en Alsace, leur présence dans la cité, leur apport dans le débat public font partie intégrante de notre histoire et mérite d’être pris en considération. Je pense qu’il est important de renforcer le dialogue avec la communauté et lutter contre l’antisémitisme grandissant pour faire honneur à notre capitale européenne des droits humains.
Peut-il s’agir tout simplement d’électoralisme ? Une rumeur persistante positionne le premier-adjoint Syamak Agha Babaei comme candidat des Verts aux prochaines élections législatives de Strasbourg dans la 1ère circonscription, face au député sortant LREM Thierry Michels ou à l’ancien député socialiste Eric Elkouby ?
J’ai aussi entendu cette rumeur de candidature. Mais mon cher Churchill, j’ai l’habitude de ne pas commenter les rumeurs.
Est-ce Jeanne Barseghian qui dirige vraiment Strasbourg ?
Disons que la manière dont est dirigée Strasbourg, et la manière dont sont prises les décisions restent opaques.
Elle parle beaucoup de « transparence », de « transversalité », « d’ouverture », « de co-construction », dans les faits on ne sait pas qui décide. On sait juste qu’il y a « un bureau exécutif » – c’est comme cela qu’ils l’appellent-. Une poignée d’élus se réunissent une fois par semaine et sont censés « prendre des décisions pour la ville ».
Les organes tels que les réunions d’adjoints dans lesquels j’étais présente sont simplement des chambres d’enregistrement. Les débats sont très rares. Et s’il y en a, c’est surtout pour justifier le positionnement déjà acté de la Maire. C’est mon premier mandat, je ne m’attendais pas à ce type de méthode.
Elle peut tenir le coup ? Certains élus, y compris de son camp, évoquent sous anonymat sa fragilité, au moins émotionnelle…
Jeanne Barseghian a été élue démocratiquement, certes avec un faible taux de participation, mais le scrutin est sans appel. Selon moi, cela aurait dû l’encourager à garder une coalition la plus ouverte possible.
Je regrette plutôt son incapacité à fédérer et à rassembler au sein de son conseil municipal au-delà de nos sensibilités partisanes. Elle n’a pas cherché le compromis. Je suis inquiète de la division et de la fragmentation de la population sur des décisions qui heurtent, des polémiques qui nuisent à l’image de Strasbourg.
Mais sincèrement, je n’ai pas de rancœur contre elle. Je lui souhaite de réussir à mettre en œuvre le projet qu’elle porte avec son groupe.
Et maintenant, c’est quoi l’avenir de Céline Geissmann ?
Je reste évidemment élue au conseil municipal et conseillère à l’Eurométropole, membre du Conseil de l’EuroDistrict, toujours engagée auprès des associations européennes et secrétaire nationale adjointe chargée de l’Europe au Parti socialiste… Je vais donc continuer mes combats auprès des acteurs de terrain et des Strasbourgeois. Je vais rester à l’écoute de leurs problèmes, tenter de leur apporter des solutions. C’est notre mission d’élus, que j’ai à cœur de remplir.
Churchill
Pour en savoir plus sur les convictions et les actions de Céline Geissmann, retrouvez son interview par Éric Vial chez nos confrères d’Alsace.news.